Le 5 septembre, en mer de Bohai, proche de la Corée du Nord, l’armée chinoise (APL) se livra à des exercices anti-aériens tentant d’intercepter des missiles à basse altitude – « test réussi au 1er essai », annonça le communiqué.
À toutes fins utiles, la presse officielle chinoise se chargea de commenter que dans le climat incertain actuel, l’APL souhaite abattre tout missile quittant le pays du Matin Calme. Missile coréen, mais pas seulement : le cas échéant, il s’agirait aussi de détruire toute éventuelle fusée de l’US Air Force vers la Corée du Nord, en rétorsion au test du 3 septembre au mont Punggye-ri, 10 fois plus puissante que la bombe d’Hiroshima. C’est donc un double avertissement que Pékin lançait, à Kim Jong-un le téméraire « cher leader », et à Donald Trump, le fantasque Président américain.
Au demeurant, une fois sa condamnation du test nucléaire prononcée, Pékin faisait son possible pour éviter de nouvelles sanctions au petit voisin. Japon et Corée du Sud se voyaient dissuadés de tenter toute punition contre Pyongyang. La Maison Blanche elle, était dans un premier temps fustigée par la Chine pour envisager de sanctionner quiconque refuserait de soutenir sa croisade contre la Corée du Nord lors du vote du 11 septembre au Conseil de Sécurité de l’ONU.
À Dandong la ville-frontière, la vie continuait comme si de rien n’était. Au poste douane, des centaines de camions attendaient leur tour pour aller livrer en Corée du Nord les biens les plus divers. Le pipeline pétrolier, pour lequel la Corée dépend de l’extérieur à 100%, restait ouvert. Cette année encore, Pékin avait offert à tout enfant nord-coréen un uniforme scolaire ou survêtement de sport. Discours mis à part, la Chine maintenait sa protection au petit allié.
Pourtant, sans aucun doute, les relations entre les deux gouvernements se sont fort dégradées. Très déçu que la république stalinienne n’ait pas suivi son conseil de miser sur la réforme et l’ouverture, le Parti communiste chinois bat à froid son parti-« frère ». Contrairement à ses prédécesseurs qui invitaient régulièrement les n°1 nord-coréens, le Président Xi Jinping n’a jamais reçu Kim Jong-un. L’opinion chinoise aussi s’est refroidie, ne tolérant plus les foucades de qui « mord la main qui le nourrit ». Chaque jour voit fleurir des divagations d’internautes rêvant de voir l’US Air-Force frapper quelques cibles en Corée du Nord, histoire de lui infliger une « bonne leçon ».
En ces conditions, pourquoi maintenir son soutien ? Rappelons d’abord la série de vieux arguments souvent cités : les craintes de voir déferler sur sol chinois des millions de transfuges affamés, d’accélérer la réunification de la péninsule, et de permettre ainsi à l’armée américaine de se déployer directement à ses frontières…
Ces arguments sont peut-être valables, mais d’autres existent, qui ont sans doute leur poids. Le premier est la peur de Vladimir Poutine. Quand, au printemps, la Chine coupa l’oléoduc trois jours, ostensiblement pour « révision technique » – en fait, sans doute, comme avertissement à Pyongyang de cesser ses tests nucléaires – elle vit sur le champ des tankers russes accoster en Corée du Nord pour lui livrer des hydrocarbures. La Russie, qui a perdu 20 ans plus tôt son rôle de grand allié de la Corée du Nord au profit de Pékin, ne rate nulle occasion pour tenter de le récupérer. Les deux puissances s’observant en chiens de faïence au-dessus du petit pays enclavé, la Chine ne peut se désengager.
Surtout, au Comité Permanent, Zhang Dejiang, président du Parlement et n°3 du régime, placé par Jiang Zemin, a fait ses études à Pyongyang, et tenu son 1er poste dans le Jilin, région à minorité coréenne. Coréanophile, il a—comme tout membre du Comité—pouvoir de véto sur tout changement de ligne politique, y compris sur les liens avec la Corée du Nord.
Est-ce à dire que rien ne changera ? Justement pas. Le XIX Congrès, mi-octobre, verra la mise en retraite de cinq des 7 membres du Comité, dont Zhang Dejiang. A peine le Congrès achevé, Xi Jinping pourra donc reprendre la main sur le dossier nord-coréen, et agir plus directement.
Finalement, sous la pression internationale, la Chine étudie l’option d’accepter le 11 septembre pour le compte de l’ONU, de fermer le pipeline afin de forcer Pyongyang à négocier. Un échange téléphonique entre Xi et Trump, le 6 septembre, aurait abouti au soutien chinois de cette sanction, au moins pour une durée limitée. Un telle mesure déstabilisera le pays : l’armée pourra fonctionner encore quelques jours, mais pas les villes, dont certains habitants ne trouveront plus d’essence pour leur voiture. De même, les paysans, faute de carburant, ne pourront pas effectuer les semailles d’hiver à temps avant les gels de fin octobre. Toutes choses qui pourraient inciter Kim Jong-un à réfléchir.
Dernier point inquiétant : le 4 septembre Wen Lianxing, sismologue à l’université des Sciences de Hefei (Anhui), croit détecter que le mont Punggye-ri, sanctuaire des déchets des derniers tests nucléaires nord-coréens, menace de s’effondrer. Si cela advient, les radiations et gaz se diffuseront en toutes directions, avec danger mortel pour les deux Corées, le Japon et la Chine, suivant les hasards du vent. Autant dire, si le chercheur Wen dit vrai, que la Corée du Nord arrive au bout de ses moyens d’expérimentation—et la Chine, de sa patience.
Sommaire N° 30 (2017)