Un an après avoir lancé Mozi, le 1er satellite mondial à communication quantique, la Chine a réalisé le 16 juin, sa première transmission satellitaire de données vers les stations en sommet de montagne à Delinghua (Qinghai) et Lijiang (Yunnan), suivant une application physique de la théorie des quantum. En pratique, une paire de photons jumeaux intriqués a été émise du satellite, puis reçue simultanément par les deux stations.
Le principe est simple : un des photons est « gardé » sur place, l’autre envoyé. Or, du fait des lois de la physique quantique, ces deux particules lumineuses conservent les mêmes qualités et le même contenu quelles que soient la distance et durée du déplacement. Par contre, quelque tierce partie qui soit, tentant de mesurer ou de capter le message associé, causera sa destruction instantanée. Ce système est donc en théorie l’ersatz idéal de l’encryption actuellement pratiquée sur internet, où émetteur et récepteur échangent d’abord une formule—un système à la merci des hackers et d’un décryptage par de superordinateurs.
Cette expérience annonce donc à l’avenir un internet inviolable, où le message ne peut plus être lu que par son destinataire. On n’en serait plus techniquement éloigné que d’une décennie, le temps de régler les problèmes de support (satellitaire et fibre optique) et de protocole. Un tel progrès a été rendu possible par le volontarisme de la Chine au tournant du siècle, démontrant une fois de plus la vivacité de son leadership, très conscient de l’enjeu mondial dans la recherche scientifique et l’avancée technique. En recherche quantique, Europe et Amérique mènent des recherches analogues, mais avec moins de moyens et de systématisme.
La prouesse technique est aussi à saluer : s’agissant d’une transmission optique, il a fallu la conduire de nuit, durant les cinq minutes de passage du satellite Mozi (qui se traduit par Micius, philosophe de l’ère des Royaumes combattants, 468-391 avant JC) au dessus des « cibles » des stations du Qinghai et du Yunnan. Il a aussi fallu produire dans l’espace les paires de photons liés par « intrication quantique », les émettre vers la Terre avec une précision d’un mètre de largeur (taille du récepteur optique), à bord d’un vaisseau se déplaçant à 8km/seconde. En raison des nuages, des poussières et autres perturbations atmosphériques, une seule paire de photons arriva à destination, sur les 6 à 10 millions de paires émises. Mais cela a suffi pour démontrer que les photons reçus étaient arrivés intacts, permettant la charge des crypto-circuits quantiques.
Mais l’expérience ne signifie pas encore, à elle seule, un système mature. Restent quelques obstacles techniques tel celui de la lecture optique. Pan Jianwei, 47 ans, responsable scientifique du projet, annonce qu’il est résolu – plusieurs nouvelles générations de satellites sont en gestation, bientôt en service pour permettre l’émission diurne. La transmission est également possible par fibre optique, mais pas sur courtes distances, qui ont pour effet de rendre floue l’image véhiculée. La transmission Pékin-Shanghai a été tentée en 2016, mais l’obligation de booster le signal tous les 100km, affaiblit la sécurité du système en offrant aux hackers une porte à chaque station de gonflage du signal. Ces contraintes ne posent pas de problèmes insolubles, mais empêchent l’utilisation à court-terme.
Pour la Chine, les avantages du système sont évidents, d’abord sur le plan de la défense qui assume probablement les coûts de développement de la filière. L’Armée Populaire de Libération veut « d’ici 2050 » rattraper la capacité offensive d’une US Army, voire prendre le contrôle de la quasi-entièreté de la mer de Chine du Sud. Un internet impénétrable serait pour elle un atout majeur.
Pour la finance aussi, un tel internet quantique serait très utile, dans la perspective du déploiement d’un réseau de service planétaire afin d’effectuer débits et crédits sécurisés sur les 5 continents sans risque de piratage des données privées. Un internet quantique accélérait et mondialiserait les paiements chinois WeChat et Alipay, et l’usage d’une monnaie digitale basée sur la « Blockchain », dont la Banque de Chine prépare la mise en circulation pour l’an prochain, parallèlement au Bitcoin.
Enfin, il est une chose que l’internet quantique chinois ne fera pas : assurer au pays un monopole technique, voire un internet coupé du monde par son support satellitaire. En effet, le fondement scientifique vient de l’étranger, et n’en est pas séparé. Pan Jianwei a préparé son doctorat sur l’internet quantique en langue allemande à l’université de Vienne, auprès de son directeur de thèse, Anton Zeilinger.
La prochaine étape, dans les semaines qui suivent, consistera à répliquer le test de transmission par ce même satellite Mozi, entre Pékin et Urumqi (Xinjiang), à 3200km d’éloignement. Puis l’expérience se poursuivra entre Pékin et Vienne à 7500km, avec l’équipe de Zeilinger. Zeilinger de son côté met la dernière main à Qapital, réseau de fibres optiques reliant aux quantums diverses capitales européennes dont Paris, Londres, Vienne et Bratislava.
Ainsi donc, comme dans les autres applications techniques et économiques liées à l’espace, la Chine a tendance à chercher l’alliance avec les puissances existantes. C’est autant pour économiser le temps et les fonds, que par respect pour l’univers, patrimoine commun de l’humanité.
Sommaire N° 24 (2017)