Architecture - Urbanisme : La fronde des petits propriétaires

La fronde des petits propriétaires

Shanghai et Pékin vivent un curieux conflit avec leurs résidents – voire les développeurs immobiliers. Les mairies veulent enrayer l’expansion des logements bâtis sur des surfaces commerciales ou de bureaux. Ces logements illégaux se vendent avec forte décote, affranchis des entraves habituelles (telles la preuve de paiement des taxes locales ou le permis de résidence), mais soumis à un « bail de propriété » plus court. Les acheteurs s’y logent le temps d’épargner assez pour s’offrir des surfaces plus larges et légales. Ces appartements peuvent aussi constituer un revenu locatif, ou permettre l’inscription de l’enfant à une bonne école du voisinage. Or depuis trois mois, tout le système est interdit.

Après avoir longtemps fermé les yeux, Shanghai s’inquiète. En effet, 12 millions de m² de terrains constructibles ont été cédés aux enchères en 12 mois, aux promoteurs, représentant potentiellement 240.000 appartements. En valeur, cela représentait 20% des ventes, mais aussi la moitié de l’offre résidentielle de l’année. Le problème est que ces résidences illégales exacerbent la spéculation, avec en avril des hausses moyennes de 15,4% sur 12 mois. Aussi la mairie de Shanghai a-t-elle entrepris en mars de forcer propriétaires et développeurs à détruire les cuisines et salles de bain de ces logements, et interdit aux acheteurs d’emménager et de revendre à des particuliers.
A Pékin, le demi-tour a été plus radical : les écoles riveraines ont été avisées de n’accepter que les enfants de foyers dotés de titres de propriété en règle. D’un trait de plume, dans les deux villes, des dizaines de milliers de logis déjà écoulés sont devenus invendables. 

La riposte des citadins n’a pas tardé : le 8 juin en plein centre de Shanghai, les 12 et 13 juin en banlieue de Pékin (Changping), les propriétaires ont manifesté avec banderoles, mégaphones et heurts parfois violents avec la police. A Shanghai, soucieuse de paix sociale, la mairie a fini par jeter l’éponge, le 14 juin, tolérant que les acheteurs emménagent – mais leur interdisant toujours de vendre, sauf à des commerciaux ou institutionnels. À Pékin, pour l’instant, la mairie ne bouge pas. Le demi-tour est perçu par l’économiste Zhu Ning comme une reculade : sans mise au pas de ces « logis de l’ombre », nulle chance d’éviter l’éclatement d’une bulle immobilière ! Shanghai et Pékin ne sont que la face visible de l’iceberg. Derrière, se cache le cas du parc « gris » déployé depuis 30 ans en bourgades et en milieu rural. Ces «petits propriétaires» se compteraient en centaines de millions. Pour l’Etat, tout  remettre à plat serait bien sûr tentant, mais n’aurait guère de chance d’advenir sans retour de flamme. Ce genre de considération paralyse les mégapoles, les contraignant à agir par à-coups prudents, sans rien régler sur le fond.

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