En novembre 2014 à l’aéroport de Wuhan, un douanier, sondant un colis en partance, repéra un kilo de « sels de bain » qui n’en avait pas l’air, avec sa couleur jaunâtre. Mélangé dans l’eau tiède, il ne se dissolvait, ni n’émanait l’arôme d’un bon et honnête sel de douche. Avec ses collègues, ils passèrent toute la moisson du jour au peigne fin, et découvrirent 8 autres colis, 12 kg de substances suspectes à destination du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle Zélande. Les adresses d’envoyeurs étaient fantaisistes, tout comme celles de destinations – des boites postales anonymes. Les étiquettes d’envoi prétendaient contenir des « lessives», « sels industriels » ou « échantillons ». La couleur des poudres variait d’un blanc cassé à un jaune fané.
S’étant vu confier les colis, la police scientifique de Wuhan mit des mois à identifier les mystérieuses substances—en vain. Elles résistaient à tous leurs tests, et pour cause : c’étaient des molécules de synthèse, dernière génération, à laquelle ces policiers n’avaient pas été formés. Tout cela exacerbait le flair des limiers : ils dépêchèrent les lots suspects à Pékin, au meilleur centre de recherche narcotique du pays.
Alors, l’analyse put enfin avancer. En juin 2015, 13 mois après leur découverte, furent identifiés 5 psychotropes parmi les plus puissants, substances hallucinogènes bannies sur sol chinois, dont certaines pouvant causer péril mortel.
A Wuhan, l’identification de la filière par la brigade des stup’ avait été plus rapide. L’épluchage de l’historique des colis, la liste des destinataires anglo-saxons, le cercle des bureaux de poste utilisés, le filage des allées et venues, ainsi que la mise sur écoute, avaient permis de repérer un laboratoire du quartier de Jingxia. Dûment consultés, les indics avaient aussi fait leur part : selon leurs infos, une bande florissante, très technique et bien organisée, était installée depuis quelques années dans le quartier. De plus, des rivalités internes étaient en train d’émerger entre un certain Zhang, le « cerveau », et son cousin Yang, qui essayait de le doubler…
Avec tous ces indices, l’identité de Zhang fut vite dévoilée. Les policiers tombèrent des nues lorsqu’ils découvrirent qu’il n’était autre que l’honorable professeur Zhang de l’université de chimie de Wuhan.
Rien que de mars à novembre 2014, selon l’enquête, Zhang, ses cousins Yang et Feng, son doctorant Bao et quatre hommes de main, avaient produit et écoulé à l’étranger 193 kg de stupéfiants. Derrière ses béchers, serpentins et éprouvettes, Zhang, le professeur, tenait le rôle formel de conseiller technique. Yang, 38 ans, était le gérant des commandes et surtout des bénéfices ; Feng tenait la compta et s’approvisionnait à l’autre bout du pays pour les produits de base ; Bao renouvelait l’éventail des drogues, qu’il développait sans cesse afin de brouiller les pistes de leur commerce illicite à travers le monde : il avait recréé près de 50 molécules dérivées de la méthylone, substitut classique de la MDMA et de l’ecstasy.
Une fois ces échantillons identifiés, il n’y avait plus de raison de différer le coup de filet. Celui-ci eut lieu le 17 juin 2017, journée choisie parce que tous les malfrats, on le savait grâce à des « taupes », se réuniraient dans l’entrepôt. Ce mardi donc, les huit complices furent faits comme des rats, en possession d’une vingtaine de kilos de came et de neuf colis prêts à partir.
Le réseau était alors démantelé. Il n’y avait plus d’urgence à accélérer l’action judiciaire. Les deux procès n’advinrent respectivement que 30 et 34 mois plus tard, durant lesquels les truands moisirent au fond de leurs geôles, méditant sur leurs crimes.
Le 17 avril 2017, l’ex-professeur Zhang reçut la prison à vie. Yang, le cousin, écopa de la peine capitale—une peine théoriquement plus sévère(justifiée par son rôle à la tête de l’entreprise), mais assorti d’un sursis de 2 ans. S’il se tient bien, cela reviendra à la même perpétuité que Zhang. Feng et Bao eux, passeront 15 ans à l’ombre, assortis de la confiscation de leurs biens mal-acquis et d’une amende de 80.000 yuans chacun.
Aucune peine de mort donc, ce qui a de quoi surprendre ! En Chine, il est rare d’être épargné pour ce type de délit et son volume—suffisant en 12 ans, pour droguer des dizaines de millions de demandeurs de paradis artificiels. La mansuétude du tribunal, fut peut-être liée à la récupération par le fisc des dizaines de millions de yuans de profits, ainsi qu’au train de vie curieusement modeste mené durant toute la période par les hommes de la bande.
Quelle morale tirer de cette tentation maudite, de ces vies brisées ? A la question posée par un journaliste, au parloir de la prison, le professeur déchu fit cette réponse d’une logique toute cartésienne : « ayant perdu la liberté sans espoir de retour, je ne puis éprouver autre chose que du remords ». Il aurait pu ajouter le précepte bouddhiste : « au temps du banquet (du vice et de la luxure), suit celui du remède » (de la pénitence, de la purification), 吃后悔药 (chī hòu huǐ yào). Mais connaissant le personnage et son amoralité endurcie, on peut s’imaginer un autre état d’esprit – sans regret pour ses actes passés, et où la seule douleur est celle de s’être fait pincer ! Zhang vit sans doute dans le regret de ne pas avoir eu la lucidité de savoir s’arrêter lorsqu’il était encore temps—accro à ce jeu dangereux qui finit par le mener à sa perte !
1 Commentaire
severy
7 mai 2017 à 15:25Le responsable du laboratoire s’est donc fait piéger comme un rat. C’était fatal.
(Cherchez l’astuce)