Politique : Trop parler nuit

 Guo Wengui, magnat immobilier originaire du Shandong, n’était pas né une cuillère en argent dans la bouche, mais s’était hissé vers la richesse aux côtés des cadres du régime, dont il faisait la fortune en même temps que la sienne.

Mais la lune de miel est terminée ! Depuis fin 2013, cet homme de 50 ans vit entre Londres et les Etats-Unis, menant une vie de nabab. Depuis 19 avril, Guo est sous le coup d’un mandat d’arrêt d’Interpol—non sans rapport avec la nomination, fin 2016, du Chinois Meng Hongwei, à la présidence de l’institution internationale.

Mais que lui reprochent donc l’Etat et ses médias (y compris Caixin, parmi les plus indépendants) ? S’être associé à Ma Jian, vice-ministre de la Sécurité d’Etat (MSE) pour forcer entre 2009 et 2011, China Airport Holdings (l’aéroport de Pékin) et la CAAC (tutelle de l’aviation civile) à lui céder à vil prix la maison de courtage Minzu, estimée aujourd’hui à 2,5 milliards de yuans.

L’irrésistible ascension de Guo  avait en fait débuté dès 2006. A côté du Stade des futurs JO de 2008 se trouvait un terrain convoité, que  Liu Zhihua, vice-maire refusait énergiquement de lui accorder. Guo alors avait recouru aux services occultes de Ma Jian pour faire filmer le maire en pleins ébats sexuels. Le haut cadre fut arrêté en juin 2006, et condamné à mort (peine commuée à la prison à vie) pour débauche et détournement en millions de $. Guo pour sa part, avait dégagé l’obstacle, et obtint son terrain, y faisant bâtir le fameux hôtel Pangu, 7 étoiles, reconnaissable entre 1000 à la flamme olympique géante sur son faîte.

Toujours pour le compte de Guo, Ma aurait fait mettre sur écoute un rival, geler son compte en banque et aurait protégé son ami en bloquant une enquête de police à son sujet, en faisant censurer des articles en ligne et en menaçant Hu Shuli, la rédactrice en chef de Caixin qui enquêtait sur lui… En 2011, il aurait aussi fait embastiller et condamner à 15 ans de prison Qu Long, partenaire de Guo avec qui il était en bisbille. L’association prit fin en 2014, quand la CCID (Commission de Discipline du Parti) fit arrêter Ma Jian, pour son implication dans d’autres affaires. Ayant senti le vent tourner, Guo avait préféré prudemment quitter le pays.

A présent, depuis sa solide position aux USA, Guo menace de faire des révélations compromettantes sur divers très hauts membres de l’entourage du chef de l’Etat. Sans toutefois passer aux actes, préférant « noyer le poisson » comme dans son interview TV sur VOA du 19 avril.

Dès 2015, Xi Jinping réclamait déjà à Barack Obama le retour de Guo. Depuis l’interview avec VOA, le régime inonde de dénonciations, les média et réseaux sociaux américains pour discréditer le transfuge et décrédibiliser ses éventuelles révélations. Le 20 avril, dans une vidéo diffusé sur Youtube, Ma Jian admettait avoir reçu de Guo 60 millions de yuans, en espèces et en biens, parmi lesquels deux appartements à Hong Kong. Le silence de Guo peut être une stratégie de survie, pour que cessent les poursuites, et promettre le grand déballage, dût-il être appelé à disparaître…

Le cas de Guo fait écho à celui de Xiao Jianhua, kidnappé vers la Chine par la police secrète dans la nuit du 27 janvier au Four Seasons de Hong Kong. Lui aussi était milliardaire, et en lien d’argent avec des hautes sphères du Parti. Son enlèvement aurait eu pour but de le réduire au silence, voire de l’inciter à révéler à la CCID tout ce qu’il savait sur tous les adversaires de Xi.

En tout cas, on voit bien l’enjeu d’une époque très tendue : à 7 mois du XIXe Congrès, toute révélation sur l’un ou l’autre des plus hauts personnages du régime, donnerait des atouts aux adversaires de Xi Jinping, et compromettrait la liste des prochains responsables nationaux pour 2017-2022. Vue sous cet angle, l’affaire Guo Wengui a le potentiel d’être plus dommageable que celle de Bo Xilai et Wang Lijun en 2012 – les deux hommes, en fin de compte, n’ayant pas fait de dégâts dans l’entourage de l’actuel maître du pays…

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1 Commentaire
  1. severy

    Quand démarrera le tournage de la suite du Parrain, version chinoise? On pourrait même lui choisir un nouveau titre: Autant en emporte le Parti, Règlement de compte à TAM ou On Achève Bien les Concurrents…

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