Du 2 au 4 avril, la Chine célébrait la Fête de la Lumière pure (Qingming 清明) et force est de constater que ce culte des ancêtres évolue avec son temps.
Au XXIe siècle, la fête consiste en une expédition en famille au cimetière. Là, on désherbe la tombe, on y déjeune et brûle divers artefacts de papier, monnaie « de l’enfer » : fausses voitures, iPhones, cigarettes de luxe, bouteilles de Maotai… Tous biens de confort que l’on veut faire passer au disparu dans l’au-delà.
Mais un vieux problème surgit alors : la population croît, contrairement à l’espace disponible. Les économistes sont unanimes, sous 10 ans autour des villes (qui abritent 51% des vivants), les espaces de repos des morts seront saturés. Ce n’est pas faute d’avoir investi : Suzhou aligne 30 cimetières « commerciaux » et 420.000 tombes, dont le prix moyen est aujourd’hui à 180.000¥ le lot d’1,5m². à Shanghai ou Pékin, autour de sites tels les tombeaux des Ming, le même emplacement coûte 300.000¥. Mais la demande reste très vive car la société vieillit. En 2016, la même Suzhou, pour 12 millions d’âmes, enregistrait 40.000 décès. Pour combattre la pénurie, la mairie vient de réserver ses cimetières aux seuls résidents, excluant les Shanghaïens qui venaient en masse.
L’inhumation à telle échelle est un cauchemar pour les urbanistes. Elle dévore les ceintures vertes des villes, et intoxique chaque année des milliers de gens par le brûlis de cette papeterie de basse qualité. Elle fait aussi planer le risque d’incendie : à Lianyungang (Jiangsu), un incendie de forêt se propagea le 4 avril, mobilisant durant des heures 600 pompiers. Aussi ce rituel fut banni à Harbin (Heilongjiang), sous peine d’amende de 200 à 1000¥, aux clients, fabricants et vendeurs.
Outre les interdictions et restrictions aux sépultures, la Chine cherche des alternatives. La mairie de Pékin propose des funérailles « bleues » en mer, gratuites, avec mini-croisière, orchestre funéraire à bord et remise de photos-souvenirs. En 2016, 2456 familles avaient accepté cette offre. En 2017, elle va plus loin, avec une tombe « verte » également sans frais, en cercueil biodégradable en 6 mois sous un parterre de gazon. Les 31 familles ayant accepté, ont reçu un bronze commémoratif au nom du défunt incluant un code QR. Sur le lien internet correspondant, on retrouve des photos du disparu, son CV, son arbre généalogique et un dossier ouvert pour les condoléances.
Un peu partout en Chine, des compagnies de services apparaissent sur internet, pour libérer les familles des devoirs envers les morts. L’exemple le plus abouti est ce cimetière Yuhuatai de Nankin avec son offre complète : jardiniers, pleureuses, prieurs, le tout pour 500¥ – payables par WeChat. La cérémonie est ainsi diffusée en live, pouvant être suivie de n’importe où. Car le Qingming devient l’occasion pour plusieurs millions de Chinois de partir en long week-end – en train, en bus, en voiture.
Une industrie est là, en bourgeon, cherchant à réconcilier traditions, technologies, budget des ménages, et leurs émotions. Qi Weijing, patron de Jiuhua Zhengyuan, veut racheter à Pékin dans l’année 10 cimetières, les équiper de recharges pour voitures électriques, d’un bar et d’une salle de réception pour changer l’ambiance de ce type de lieu : du « lugubre » au « branché ».
Enfin à la campagne, perdurent des pratiques d’un autre âge. En une seule ville du Shanxi, depuis 2013, 27 familles ont porté déclaré le vol de cadavres de femmes (chiffre probablement en-dessous de la réalité, nombreux étant ceux n’osant pas porter plainte), la tradition voulant qu’elles soient mariées en des « noces de fantômes », à un décédé célibataire. Ce genre d’unions post-mortem se fait surtout lors du Qingming. L’Etat interdit, punit—mais la tradition a la peau dure.
1 Commentaire
severy
13 avril 2017 à 15:24Scenario à la chinoise : on imagine déjà de gigantesques manifestations de morts cherchant un petit lopin de terre pour y enfouir leurs vieux os.