Editorial : De l’ANP au Bitcoin

Grand rendez-vous de l’année, les deux assemblées s’ouvraient le 3  mars (pour la CCPPC) et le 5 (pour l’Assemblée Nationale Populaire). L’ambiance était tendue, après 5 ans de campagnes anti-corruption, et à 8 mois d’un nouveau quinquennat de Xi Jinping (2017-2022), et du renouvellement d’un gouvernement débarrassé des freins implantés par ses prédécesseurs Hu Jintao et surtout Jiang Zemin. L’objectif de Xi est clair : reprendre le contrôle de la finance, en s’attaquant aux milliardaires fraudeurs et à la finance « grise », deux héritages de 30 ans de gouvernance néolibérale. C’est donc un système obsolète qui s’attaque à ses propres tares, dos au mur face à une dette nationale qui s’envole, égale à 300% du PIB (contre 254% en 2015) selon les chiffres d’UBS.

Mais la contradiction apparaît claire, quand on voit la fortune des 100 plus riches édiles (sur les 2.880 de l’ANP), passée en 2016 à 435 milliards de $ – contre 238 milliards en 2013. Ce sont ces mêmes milliardaires, devant leur fortune à ce crédit facile, sur qui l’Etat doit à présent compter pour l’aider à fermer le robinet… Le système est faussé – peut-il vraiment se réformer ?

Bien loin de remettre en cause les fondamentaux politiques, ce régime de technocrates met en point en parallèle des outils technologiques inspirés de l’étranger, qui pourraient changer toute la donne en peu de temps.

On les voit émerger dans l’agriculture, qui s’apprête à étonner le monde en devenant exportatrice nette, malgré son terroir limité à 7% du territoire (elle le fait par un mix de rachats de technologies étrangères, de formations et d’incitations aux paysans) ; dans une industrie qui entame plus vite que d’autres sa reconversion vers le bas carbone et la robotisation ; et surtout dans la monnaie.

La Banque centrale (BPdC) suit depuis des années les progrès du Bitcoin, mode de paiement crypté selon la technologie de la blockchain (qui émet sur le web des paquets de transactions qui restent ensuite inviolables et vérifiables de tous). La BPdC a laissé son territoire devenir le premier centre mondial de cette monnaie. En même temps, dans l’ombre, elle travaille à sa propre blockchain, et dès janvier, annonçait avoir terminé ses tests de sa monnaie, un genre de « Bityuan », à lancer sans doute en 2020 en même temps que le réseau cellulaire 5G, 100 fois plus rapide et puissant que son prédécesseur 4G. À condition d’avoir, entretemps, mis en place un cadre réglementaire et légal. Alors, les 630 millions d’usagers de smartphones bénéficieront – comme le vendeur – de la disparition de la commission. La banque cessera d’effectuer le transfert (assumé sur internet par la blockchain) et de servir de garant de la transaction (rôle repris par la communauté des utilisateurs).

Le « Bityuan » sera donc concurrent du Bitcoin. Sur sol chinois, la BPdC pourra inspecter (mais non bloquer) les transactions en Bitcoin, et faire respecter ses règles – sur l’export de devises, l’interdit de transferts destinés à la corruption ou d’autres délits comme terrorisme ou drogue. « De la sorte, selon Duan Xinxing, vice-président de OKCoin (la bourse de bitcoin de Pékin), la Banque centrale disposera d’un savoir instantané sans précédent sur la santé de son économie », le pouls du consommateur, les chargements des navires et des trains de fret entre Chine et le reste du monde…

Une question centrale sera de savoir quel pouvoir cet outil conférera au système—s’il pourra « tout savoir » sur les entreprises, les provinces, les citoyens, et en abuser par excès de contrôle policier. Dans ce cas, la renaissance, l’essor de créativité et d’échanges entre sociétés chinoises et mondiales, n’auront pas lieu. Tout ce que l’on sait est que l’impact est de nature à bouleverser nos modes de vie. Mais pour paraphraser la philosophie grecque antique (Esope), Bitcoin et Bityuan seront « la meilleure et la pire des choses » – selon l’usage qu’on en fera.

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