En 2013, l’équipe du Président Xi Jinping lançait son plan OBOR (One Belt, One Road, 一带一路), un concept de redéploiement industriel hors frontières qui nécessitera, selon les calculs de la banque HSBC, de 4000 à 6000 milliards de $ sous 15 ans, pour l’équipement (ferroviaire, maritime, en énergie…) à réaliser entre 65 nations des cinq continents.
Plusieurs sommets sont prévus, dont un les 14-15 mai à Pékin – 40 chefs d’Etats sont invités à ce rendez-vous, le plus important de l’année pour la Chine, qui espère alors une validation universelle pour ce genre de Plan Marshall du XXIème siècle. Mais à mesure que les projets commencent à se préciser, surgissent les problèmes.
En 2016, en marge d’un Sommet à 17 pays Chine-Europe de l’Est, la Chine s’engageait avec Hongrie et Serbie à bâtir une ligne de chemin de fer entre Belgrade et Budapest sur 350km. La ligne existante, obsolète et à basse capacité, serait remodelée, reconstruite, et le matériel roulant renouvelé de manière à réduire le voyage de 8 heures à 3h. Le coût de 2,89 milliards de $ serait supporté par l’Exim Bank, et le chantier exécuté par la CRIC—groupe public chinois spécialisé dans ce type de gros chantiers hors frontières. La maîtrise d’œuvre reviendrait aux chemins de fer nationaux de Hongrie, 42% des matériaux et équipements devant obligatoirement provenir des pays-hôtes.
Mais Bruxelles vient d’émettre une objection peut-être fatale : la Commission Européenne lance une enquête sur la rentabilité du projet et sa conformité aux articles de loi concernant le marché unique. Au 1er chef, l’étude de faisabilité fixe à 6 millions de billets par an le seuil de rentabilité—mais le trafic attendu n’en fait que la moitié. Et au second chef, nul contrat n’a été publié, et pour cause : il n’y a pas eu d’appel d’offres —c’est une infraction à la loi communautaire. Aspirante à l’adhésion, la Serbie peut encore prendre librement ses décisions d’investissement sur son sol. Mais pas la Hongrie membre de l’UE, de surcroît dans le collimateur communautaire pour les positions agressives de son leader d’extrême droite V. Orban sur la question des réfugiés.
A ce qui semble, ce qui a été signé en 2016 pour contourner la procédure des 27, a été un « traité » entre les 3 pays pour engager des entreprises à « coopérer » au projet. Un protocole a été mis en annexe, pour tenter une mise à conformité avec la législation communautaire, au niveau des normes techniques notamment. Mais selon les résultats de l’enquête, Bruxelles pourrait exiger des modifications ou interdictions faisant poser un lourd nuage noir sur l’avenir.
Cette ligne, déclare Tamas Matura de l’université de Budapest (cité par le Financial Times), est un maillon fort du plan OBOR en Europe Centrale – une section de la « route terre-mer » que la Chine s’est engagée en 2014 à bâtir du Pirée (port d’Athènes) via les Balkans jusqu’au Nord-Est européen, permettant d’inonder de produits chinois des centaines de millions de personnes. C’est une ligne stratégique, conçue à Pékin il y a déjà 10 ans, quand la COSCO (l’armateur public) rachetait sa première tranche du port grec en faillite.
La Chine joue gros. Mais ses difficultés permettent aussi d’éclairer la différence de sensibilité et interprétation entre Bruxelles et Pékin, sur le terme de « profitabilité ». Bruxelles, pour son évaluation, se base sur les chances de réussites d’un outil, à 5 ou 10 ans. Les stratèges chinois sont beaucoup plus ouverts au risque, et visent clairement un processus en décennies : la relance d’un continent par la création d’une route commerciale à travers la planète.
Cette affaire a été au cœur des débats (18-19 février) à l’université d’Oxford, lors du China Forum annuel. A cette occasion, une opinion majoritaire s’est dégagée, contestant la capacité des « nouvelles routes de la soie » à trouver leur place en Europe, sous leur définition actuelle. Pour ces économistes venus de toute l’UE, les nations, gouvernements et investisseurs devront la battre à froid, faute d’y trouver autre chose que l’intérêt chinois. L’OBOR à leurs yeux, est une réponse à sens unique à une question sino-chinoise. La Chine en effet, a besoin :
– d’un débouché hors frontière pour ses surcapacités,
– d’un havre pour son épargne en yuans qui se déprécie à long terme, d’un marché pour ses produits,
– d’un flux régulier de minerais et de pétrole à tarif privilégié.
Mais les pays d’accueil veulent que leurs industries participent aux travaux sur sol chinois. Depuis 10 ans et toujours plus fort, Europe et Amérique déplorent le refus chinois de laisser leurs firmes participer aux appels d’offres en Chine. Pour l’Europe, cette question devient le 1er obstacle, avec celle de la protection des investissements, à la conclusion d’un traité de libre-échange.
Enfin, l’abandon par les Etats-Unis du Partenariat Trans-Pacifique (TPP) et la vague déferlante de protectionnisme américain rebrasse les cartes. La Chine soudain, ressent le besoin de plus de coopération avec l’Europe. Pour le plan OBOR, c’est peut-être une nouvelle chance, celle pour la Chine de faire preuve de plus de souplesse et de réciprocité. L’avenir dira si la Chine se montrera capable de rectifier le cap, et si ces faiblesses présentes étaient des vices de conception inguérissables, ou bien de simples maux de croissance.
Sommaire N° 8 (2017)