Quand à Hongkong, le 27 janvier, Xiao Jianhua fut tiré de son hôtel de luxe et ramené en Chine par le plus court chemin, la ville put crain-dre le remake du mauvais scénario de 2015 où 5 libraires dissidents avaient été kidnappés vers la Chine, au déni de la promesse de non-ingérence policière sur le Rocher et du principe d’« un pays, deux systèmes ».
Sous réserve d’inventaire cependant, le cas de Xiao Jianhua est différent : la presse des deux bords s’accorde à affirmer que Xiao, magnat chinois de 46 ans, était « accompagné » sans violence par deux « vieux amis », deux « négociateurs non liés à des forces de l’ordre » et même ses deux gardes du corps—athlétiques jeunes femmes membres d’une agence de sécurité.
De même, à l’inverse du cas des libraires, son passage à la frontière avait été enregistré côté hongkongais. De la sorte, Pékin pouvait espérer s’éviter toute accusation d’un nouvel accroc aux prescriptions du traité de dévolution. Rentré « de son plein gré » pour « coopérer avec la justice », Xiao pouvait téléphoner à sa femme ou à son état-major financier de Tomorrow Holdings.
Quelques détails cependant détonnaient avec cette lecture optimiste des faits. Comme ce publipostage affiché le lendemain à la « Une » de Ming Pao (le grand quotidien de Hong Kong) où il se déclarait « à l’étranger pour soins médicaux » et réitérait son inébranlable amour pour le Parti et la patrie, protestant n’avoir jamais rien fait de répréhensible, ni contraire aux intérêts de la nation.
On a donc affaire, selon toute apparence, à un enlèvement « doux » du milliardaire, avec consentement partiel.
Pour éclairer cette disparition, orientons le projecteur sur ce personnage hors norme. Issu d’une famille pauvre mais lettrée du Shandong, Xiao Jianhua est doué en études, relations humaines et affaires. À 14 ans, il entre en faculté de droit à l’université Beida (pépinière de leaders) à Pékin, devient en 1989, président de l’association des étudiants—un honneur peut-être octroyé en récompense de son refus de soutenir le « Printemps de Pékin ».
À même époque, il gagne ses premiers fonds en vendant dans son université, puis en Mongolie Intérieure(patrie de son épouse), des ordinateurs importés. Dès lors les choses vont vite : en 1998, il est le plus jeune PDG d’un groupe coté en bourse en Chine. En 2006, à 35 ans, après un séjour canadien, il a assez avancé dans la haute société pékinoise pour rendre des services à la nomenklatura : en 2007, il aide Zeng Wei, fils de Zeng Qinghong (vice-Président, lieutenant de l’ex-Président Jiang Zemin) à privatiser Luneng, groupe public d’électricité du Shandong. En 2012, il aide Che Feng, beau-fils de Dai Xianglong (Gouverneur de la Banque de Chine) à acquérir une firme d’effets spéciaux d’Hollywood. En 2014, il permet discrètement à la sœur et au beau-frère de Xi Jinping de se débarrasser de leurs 50% de parts dans un consortium financier (tout juste dévoilé par Bloomberg).
Malgré ces protections, il se retire en semi-exil à Hong Kong cette même année, peut-être suite à de fracassantes pertes en bourse (on cite un chiffre de 960 millions de yuans) ayant entrainé de nombreux porteurs dans sa chute. Sous l’angle « sentimental », la légende lui prête la réputation d’un homme à femmes – il aurait conçu pas moins de 30 enfants hors du lit conjugal, chacun doté par lui à la naissance de « 5 millions de $ ».
Plus sérieusement, son consortium d’affaires étend ses tentacules sur 12 banques municipales et 30 entreprises, dont 9 en bourse. Depuis son rapt, toutes subissent d’énormes pertes, en dépit des communiqués multipliés pour rassurer les actionnaires.
Xiao apparaît avoir eu conscience de risques d’arrestation : il s’était nanti d’un passeport canadien ET croient certains, d’un passeport diplomatique de la micro-République antillaise d’Antigua-et-Barbuda, en qualité d’ « ambassadeur itinérant ». Pour autant, son choix d’exil à Hong Kong, plutôt qu’à Londres ou New York suggère qu’il n’était que peu angoissé par un risque de kidnapping, confiant dans ses soutiens.
Après 8 jours de flottement, Zhang Lifan, politologue, lie la décision d’exfiltration de Xiao aux préparatifs du XIX Congrès d’octobre, à une bataille interne au Parti. Il aurait été mis au frais, moins pour le punir que pour l’empêcher de parler maintenant sur Xi Jinping. En effet, l’hôtel « Four Seasons » fourmille de grands personnages en semi-exil, et semble être de facto une bourse d’échanges de dossiers compromettants, lesquels serviraient ensuite à faire pression sur l’entourage du chef de l’Etat pour obtenir des nominations ou décisions en faveur de clans rivaux de Xi.
Le rapt de Xiao peut servir aussi, bien sûr, à apprendre de lui des petits secrets sur les rivaux de Xi Jinping, de nature à les mettre en difficulté. Enfin, il peut sonner comme un coup de cymbales de rappel à tous les chevaliers d’industrie chinois, un peu trop électrons libres : de ne pas compromettre les grandes familles rouges, durant cette période critique précédant le XIX Congrès.
Le kidnapping peut avoir été précipité par l’interview la veille de Guo Wengui, autre magnat en exil qui incrimine Fu Zhenhua, vice-ministre de la Sécurité publique. 11 ans plus tôt, Guo faisait tomber Liu Zhihua, vice-maire de Pékin convaincu d’inconduite sexuelle. Et Ma Jian, autre ex n°2 de la Sécurité publique était jugé le 7 février au tribunal de Pékin, en partie du fait de son « amitié » avec Guo Wengui…
Selon la rumeur, l’arrestation de Xiao Jianhua ne traduit pas une chasse aux milliardaires privés—les cadres du Parti restent en première ligne de mire. Enfin, à ce stade, toute cette mystérieuse affaire ne traduit qu’une chose : la nervosité, au sommet de l’appareil.
Sommaire N° 5-6 (2017)