Petit Peuple : Zhengzhou (Henan) – Mère solitaire cherche fille à louer

Pour Li Yanling, retraitée de l’industrie pharmaceutique de 63 ans à Zhengzhou (Henan), le cœur de l’hiver s’annonçait difficile. Non par manque d’argent—sa carrière lui avait permis d’amasser, avec son mari ingénieur, une pension arrondie par trois appartements acquis au bon moment, leur assurant une vie hors du besoin— mais par solitude.

Son existence quotidienne était une lutte désespérée, le plus souvent perdante pour trouver à s’occuper. L’entretien de la maison était l’affaire de la femme de ménage – deux heures par jour avant de repartir, laissant à nouveau la maison plonger dans le silence.

Chaque jour, Yanling était pendue au téléphone pour discuter avec d’anciennes collègues, très souvent occupées par la quête d’un mari pour leur fille (ou d’une femme pour leur fils), au même niveau social que le leur. Après avoir déniché le (la) candidat(e) idoine et l’avoir imposé à leur enfant, elles devaient encore choisir l’hôtel où se célébreraient les noces, les 15 plats du banquet nuptial, les invités. De quoi s’occuper pendant des mois, les veinardes ! Et avec ça, pas le temps de venir boire le thé avec une amie d’autrefois…

Yanling elle, n’avait pas droit à ce passe-temps de reine. Non qu’elle soit sans enfant en âge de convoler, mais Xiaoya sa fille, au terme de ses études au Canada, avait décidé de s’y marier, abandonnant d’un coup son passé, le pays et ses parents. Tout ce que Yanling pouvait espérer était 30 minutes mendiées à sa fille, de vidéo bavardage par WeChat avec Toronto, lui montrant son petit-fils, dont elle retenait difficilement le nom aux consonances barbares à ses oreilles.

Voilà pourquoi Yanling devait tuer le temps, s’imposant chaque jour un tour au parc pour une heure de taiqichuan avec des femmes de son âge. Après la séance de gym, les commères s’attardaient à papoter. Yanling préférait s’éclipser : leurs cancans l’insupportaient… Le coin des sopranes et ténors d’opéra n’avait pas plus de chance de trouver grâce à ses yeux : faute d’oreille musicale, elle chantait comme une casserole…

Si son nid restait désespérément vide, c’est que son mari y manquait en tout temps. D’un tempérament jovial, il ne manquait pas de partenaires de mah-jong ou de go, quand il n’était pas parti crapahuter par monts par vaux avec d’autres amoureux de la marche, des jours entiers.

En sa maison trop grande, elle souffrirait de l’absence d’affection et d’être délaissée par ses proches au point de n’avoir plus rien d’autre à faire, que « devant sa porte, chasser le moineau » (mén kě luó què, 门可罗雀).

Heureusement pour elle, Yanling avait une idée en tête pour rompre la monotonie hivernale de décembre. Sur son compte Weibo, elle se présenta en vidéo, maquillée et attifée dans son manteau de fourrure : qui voudrait de ces cadeaux déposés sur la table (cf photo), une liasse de 4000 yuans et un iPhone 7 encore emballé ? « Bonjour tout le monde, disait-elle, je suis Li Moumou (pour préserver son intimité, elle se donnait un pseudonyme). Je ne veux pas déranger ma fille qui vit à l’étranger : y-a-t-il quelqu’un qui veuille m’accompagner à Sanya, à la plage » ?

La candidate devrait être mignonne et agréable, entre 19 et 24 ans. Elle remplacerait sa fille, bavarderait, ferait les photographies, remplirait toutes fonctions d’une demoiselle de compagnie. Ce serait frais payés, avion, hôtel et restaurants, en sus des primes rubis sur l’ongle !

L’offre connut un succès inespéré. Par dizaines, des jeunes filles se proposèrent, espérant accompagner la jeune mère-grand et barboter avec elle dans l’eau chaude et azur de l’île semi-tropicale.

L’une d’elles lui fit même une contre-proposition élégante : « garde tes sous, ’ayi’ (tante) et ton luxueux smartphone ; je peux payer moi-même mes additions. Ce serait un privilège de pouvoir te soulager de ta solitude, gratuitement ». Chez cette jeune femme comme chez bien d’autres de sa génération, c’est aussi un indice de forte lucidité. En effet,  la société actuelle est trop individualiste, matérialiste, et délaisse trop souvent les parents, une fois à la retraite. La Chine n’est pas la seule d’ailleurs à pâtir de ce travers – Europe et Amérique ne sont pas mieux loties. Or pour ces jeunes Chinoises, tendre la main aux trop seules dames du troisième âge, c’est conjurer un avenir pour elles-mêmes.

L’histoire n’en dit pas plus, mais nous ne doutons pas une seconde que Yanling ait trouvé une fille de substitution ! Si nous la racontons malgré tout, c’est pour sa valeur d’exemple, du retour déjà bien visible de la compassion en Chine.

Parallèlement, il y a quatre ans, nous relations dans nos colonnes l’histoire inverse, de cette fille cherchant « une mère à louer » pour célébrer le Nouvel An chinois.

Nous en profitons pour souhaiter à nos fidèles lecteurs, de belles fêtes de Nouvel An Chinois et une excellente année du Coq !

« Devant sa porte, chasser le moineau »
mén kě luó què, 门可罗雀
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1 Commentaire
  1. severy

    Excellente histoire racontée de Voix de Maître. Et maintenant, pour fêter dignement le nouvel an chinois, je ne doute pas que, cuit à point dans le feu du four, trône dans son plat en terre cuite, un coq au riz corpulent au bec argenté et aux griffes d’or. Bon appétit et bonne année!

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