Entre Etats-Unis et Chine, c’est le rebondissement de fin de l’année : le 3 décembre, à sept semaines de son intronisation comme 45ème Président des Etats-Unis, Donald Trump a pris l’appel téléphonique de son homologue taïwanaise Tsai Ing-wen. Nul leader américain n’avait osé un tel geste, pas plus que la plupart des chefs d’Etat du globe, soucieux de ne pas offenser la Chine continentale dans son effort de maintenir en isolation sa « province rebelle ».
On en vient d’ailleurs à soupçonner que le candidat élu ait accepté ce coup de fil par bravache, pour clamer au monde qu’il ne craint rien ni personne. Comme on pouvait s’y attendre, Pékin n’a pas attendu pour protester. Il faut dire que quelques heures avant, Xi Jinping avait pour hôte Henry Kissinger, figure de proue du Parti Républicain, qui ne lui avait rien dit – et pour cause : il n’en savait rien, pas plus qu’Obama, ni la chancellerie américaine…
Symptomatiquement, par la voix de Wang Yi le ministre des Affaires étrangères, Pékin a cherché à exonérer Trump, invoquant une « inexpérience » qui l’aurait fait tomber dans le « piège » de la perfide île nationaliste. Mais du tac au tac, Trump a démenti : tout était assumé, voulu. Il avait « pris l’appel par courtoisie, pour féliciter sa collègue de son élection »… avec 11 mois de retard ! Peu après, par une déclaration polémique sur son compte Twitter, Trump reprit de vieilles allégations contre Pékin sur son déploiement militaire en mer de Chine du Sud, et sa « manipulation » du yuan, la monnaie chinoise.
Pékin se garde de se laisser entraîner dans l’escalade. Mais pour reprendre le mot d’un diplomate, « un préjugé favorable (envers Trump) a disparu, la relation sino-américaine démarrera dans la méfiance ».
Que fera la Chine ? Ce qu’elle veut, est un deal à long terme avec Washington, créer à l’échelle de la planète une « locomotive franco-allemande » de croissance économique et de règlement des conflits. Xi l’a réitéré à Kissinger, « la relation est à un tournant », donc ultra prioritaire. Celui qui sera puni, selon diverses analystes, sera Taiwan, le petit et l’incorrect qui a osé élire en janvier dernier un gouvernement indépendantiste.
Mais la presse chinoise prévient : une fois installé, si Trump touche au principe d’une seule Chine, ou aux intérêts chinois, Pékin aurait des leviers de rétorsion à sa disposition. On peut imaginer lesquels :
– la Chine peut rompre l’isolement de la Corée du Nord en s’affranchissant des sanctions onusiennes pour lui fournir blé, carburant et crédits ;
– elle peut affronter les patrouilles de l’US Navy en mer de Chine du Sud, comme l’APL brûle de le faire, histoire de fêter dignement son 90ème anniversaire au 1er août 2017.
– elle peut aussi s’en prendre militairement à l’île, au moindre acte séparatiste. Selon la rumeur, « le mandat de Deng Xiaoping était de rapatrier Hong Kong, celui de Xi Jinping serait de récupérer Taiwan »…
Le bras de fer engagé par Trump envenime un autre reproche chinois envers son pays : avoir fait capoter la cession à Fujian Grand Chip Fund du groupe allemand Aixtron (semi-conducteurs). Le feu vert avait été donné par le Land de Bade-Wurtemberg. Mais l’américain CFIUS (Committee on Foreign Investment in the US) avait fait passer le feu à l’orange, en édictant le veto de Washington sur la vente des filiales américaines : Berlin n’avait pu que laisser le feu passer au rouge. Ce geste avait sonné le tocsin en Allemagne sur toute la vague de rachats chinois de ses fleurons technologiques. Il est d’ailleurs question, outre-Rhin en pleine période préélectorale, de révoquer un autre rachat déjà réalisé, celui des robots Kuka par Midea.
Après avoir ruiné en quelques minutes le préjugé favorable qui s’instaurait entre Trump et la Chine socialiste, le candidat élu semble s’essayer à recoller les morceaux en nominant, comme futur ambassadeur des Etats-Unis en Chine, Terry Brandstad (cf photo), le gouverneur de l’Iowa qui se dit ami personnel de Xi Jinping « depuis 30 ans ». Brandstad s’est rendu pas moins de six fois au Céleste Empire. Xi lui, est déjà venu deux fois en Iowa, en 1985 comme jeune fonctionnaire pour son 1er séjour à l’étranger, puis en 2012 comme Président, où il avait été reçu par son gouverneur. Brandstad a déjà une coopération à son actif : une large exploitation agricole de l’Iowa sera copiée à l’identique dans le Hebei, pour son exemple de rêve à l’américaine, et comme pieux souvenir de Xi, qui l’avait visitée.
Cependant, il faudra plus que cela pour repasser à un climat positif. Des deux rivages du Pacifique, les faucons se frottent les mains de la nouvelle donne négative entre les pays.
Côté Etats-Unis, le sénateur Marco Rubio dépose un projet de loi de sanctions automatiques contre la Chine, à chacun de ses pas militaires en mer de Chine du Sud. Un telle initiative, si elle est votée, sera certaine de compromettre toute coopération entre ces deux puissances.
Côté Chine, Ding Xuedong, président du Fonds public CIC, avertit Trump de bien réfléchir avant d’imposer toute taxe nouvelle aux exportations chinoises, comme il a menacé de le faire durant sa campagne électorale. Et Yang Qijing, de l’Académie du Développement et de la Stratégie, croit voir des préparatifs de Trump pour renforcer les liens de défense avec Taiwan. Ce serait, bien sûr, un moyen d’enrayer l’influence croissante de la Chine dans la région…
Tel est le climat délétère dans lequel Donald Trump accède au pouvoir—sous la menace d’un retour de la guerre froide et de l’esprit des blocs. Tous les incidents décrits dans cette page, amènent à une même conclusion. Suite à l’élection de Trump, Chine et USA ont devant eux deux voies, et un choix à faire : la poursuite du présent – la coopération (les compromis), ou le retour dans le passé – les principes idéologiques. Or dans ce choix crucial, la méfiance réciproque ne sera d’aucune aide.
1 Commentaire
severy
10 décembre 2016 à 17:17Trump, le roi du court terme, d’un côté. La Chine, reine du long terme, de l’autre. Pour dialoguer en de bons termes, il faut s’en donner les moyens.