Petit Peuple : Fengyang (Anhui) – la Chute et rédemption de Zhang Liwei  (dernière partie)  

Résumé des 2 premières parties :   Assassin en fuite durant 16 ans, Zhang Liwei s’est racheté une conduite en devenant moine –  « le frère Sun Hongtao ». Il est élu à 43 ans abbé de son monastère de Longxin (Anhui), et  Président de l’Association bouddhiste régionale. Mais son passé va le rattraper bien vite…

En avril 2016, Sun fut invité à un congrès bouddhiste à Bangkok. Avec sa réputation le précédant, il avait déjà commencé à assister à des séminaires religieux dans toutes les provinces (sauf à Daqing, sa ville natale dans le Heilongjiang) sans se cacher le moins du monde : il disposait de papiers issus par la police de Chuzhou (Anhui). Et si par malheur il était démasqué (mais la chance que cela advienne était infime), au fond, Sun s’en moquait : un tel coup du destin, était du ressort du ciel, et c’était, depuis toujours, à Bouddha de décider de son sort.

Mais sortir du pays était une autre affaire : il devrait demander un passeport, formalité qui passait par le sommier national. Et là, pas de Bouddha qui tienne ! Ressortant de ses entrailles électroniques sa fiche anthropométrique, le système ne mettrait pas long à détecter, à travers Sun Hongtao l’abbé, l’assassin en cavale depuis 16 ans, Zhang Liwei. Aussi Sun tenta-t-il d’écarter de lui ce moment tant redouté, sous tous les prétextes :
– suite aux années de durs travaux au monastère, il s’était endommagé les reins. « Mais, répondait-on,  il aurait de bons avions, de bons hôtels, de  massages à l’arrivée »…
– pour s’occuper de ses œuvres, organiser la guidance spirituelle, gérer les hommes, il devait rester au monastère, à bord. Mais « nul n’est irremplaçable », répliquaient ses supérieurs…
– ce voyage servirait sa gloire personnelle, et son apostolat lui interdisait telle vanité. Mais « il devait aussi à sa communauté de la représenter hors Chine. Ce n’était point sa gloire mais celle de sa foi qu’il allait défendre : il ne pouvait pas se défiler… »

Il n’avait pas d’échappatoire : son entourage, la ville avait les yeux rivés sur lui. Et c’est alors qu’il se résigna à un avenir tragique. Avec parfaite lucidité, Sun Hongtao voyait remonter du fond des eaux troubles sa double identité, celle du moine serein dans la paix de sa foi, et celle du criminel terrorisé par son arrestation inévitable. Au commissariat de Chuzhou, prêtant ses doigts au tampon encreur, Zhang Liwei « redoutait sa notoriété, comme le porc craint la graisse qui fait venir le couteau du boucher » (人怕出名猪怕壮 rén pà chū míng zhū pà zhuàng).

Le 10 juin à la police, l’officier qui  traitait la demande de passeport de Sun, reçut sur son moniteur le signal rouge clignotant, et appela les collègues. Ensemble, ils durent se rendre à l’évidence : Sun, leur célébrité locale, était recherché depuis 16 ans pour meurtre à Daqing, 2000 km plus au nord, et sa tête mise à prix !

Dans le plus grand secret, l’opération fut conduite en un éclair le lendemain matin : à dix heures, la patrouille arriva sur le perron, demanda à voir l’abbé. Le capitaine lui demanda s’il était bien « Zhang Liwei ». À leur stupéfaction, les 12 moines présents l’entendirent répondre par l’affirmative. Sur quoi lui fut notifié son arrestation. Quand on lui passa les menottes, « je vous attendais » fut sa seule réaction. Serein, impassible en sa robe carmin, il les suivit vers la Santana bleu et blanc, sous les déclics d’un paparazzi suivant la campagne.
Au fond de lui, Sun-Zhang éprouvait un immense soulagement : l’arrestation mettait fin à 16 ans de mensonges, et lui donnait enfin la chance de matérialiser sa quête de rédemption.

Depuis sa fuite en 2000, il souffrait secrètement du voile d’ambiguïté entachant toute son attitude. Que valait aux yeux de Bouddha sa demande de rachat par les actes, s’il mentait à toute la société sur son identité ? Il le faisait pour protéger sa liberté, voire sa vie car, en cas de capture, s’appliquerait automatiquement sa condamnation à mort par contumace. Or donc, laquelle des deux demandes, en lui, avait plus de prix ? Sauver son âme ou sauver sa peau ?

On pouvait certes discuter le mérite de son œuvre accomplie en ces 16 ans, ce monastère rebâti, cette communauté d’hommes réarmée pour faire le bien et pratiquer la vertu. Mais pour qu’un tel débat en réhabilitation puisse se tenir, encore fallait-il qu’il se dénude, s’agenouille, se dévoile face à l’humanité. C’était chose faite : il appartiendrait aux hommes à présent, de tirer son bilan.

Depuis peu, une nouvelle référence hantait notre homme et l’illuminait, comme un message divin : vers l’an moins 500 près de Bénarès, était né un garçon du nom de Siddharta Gaumata. À son propre instar, ce fils de roi avait d’abord vécu en enfant gâté, sous le fouet des plaisirs et l’illusion que tout lui était dû. Tous les jeux, tous les alcools, toutes les femmes qu’il avait voulus, il les avait reçus et consommés en son palais mirifique. Puis vers 30 ans, suite à on ne sait quel accident de l’histoire, Siddartha avait brusquement quitté cette débauche, changeant de vie, de quête et même de nom : Bouddha partait bouleverser la société humaine.

Pour Sun Hongtao, cette fraternité avec son dieu transcendant les millénaires, change toutes les perspectives. Son âme a trouvé la paix. Il gardera son secret : de son vivant il a trouvé le karma dans le partage de la vie et des étapes initiatiques de Bouddha en personne. Libéré de la chaîne des réincarnations, il est la preuve vivante qu’on peut s’arracher à un destin criminel – à condition d’en payer le prix !

Quant aux hommes qui auront la charge de le juger, ils auront tâche difficile. La loi est nette et sans exception possible, Zhang Liwei mérite la mort. Mais comment ne pas tenir compte de l’indiscutable renaissance morale de Sun Hongtao, homme sans faute ni souillure ? Peut-être son cas inspirera-t-il, pour la 1ère fois dans l’histoire de la justice socialiste, l’introduction d’un brin de compassion…

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3 Commentaires
  1. anneribstein

    Merci de cette série en forme de feuilleton, conduite avec précision et nuances. Ce récit d’un parcours individuel questionne et oblige à déplacer ses critères d’appréciation.
    Un grand merci pour cette ouverture renouvelée d’horizons intérieurs?

  2. severy

    On se demande comment ça se terminera, en effet.
    L’histoire (Chine incluse) est pleine d’exemples de rédemption.

  3. severy

    Whqng Liwei – Jean Valjean.
    Peut-être que les juges auront lu le roman de Victor Hugo et en comprendront la leçon.

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