Petit Peuple : Dasheng (Chongqing) – Le baiser de la femme-araignée (1ère Partie)

A 43 ans, à Dasheng (Chongqing), Huang Lan pouvait considérer qu’elle n’avait pas raté sa vie, ayant une maison, un mari doux et travailleur, et deux filles. Mais comme tant d’autres Chinois, surtout de Chine de l’intérieur, Huang Lan et You Jiang (son mari, 52 ans) souffraient d’une angoisse qui les rongeait de l’intérieur : comment payer les études de leurs filles, satisfaire leurs caprices (comme ce smartphone qu’elles réclamaient à corps et à cris, comme un droit imprescriptible dont jouissaient déjà toutes leurs amies ) ? Comment même, plus prosaïquement, rembourser les traites ?!

Dans un tel climat, les disputes n’étaient pas rares, même à voix basse pour éviter de porter leurs différends sur la place publique. C’était peine perdue, avec ces parois d’une épaisseur diaphane, dans leur tour de cité-dortoir en grande banlieue de Chongqing…

Le problème était là : agent commercial, You Jiang ne supportait pas que sa femme puisse trouver un travail loin du domicile. Puis, question d’honneur, c’était à lui de subvenir aux besoins du ménage. Mais Huang Lan, pourtant se serait bien vue professeure, rédactrice ou assistante – autant de postes auxquels son mari l’empêchait de rêver. Elle n’avait donc jamais trouvé que des petits boulots dans son quartier, gardiennage, femme de ménage, caissière, et encore, seulement en remplacement. Situation humiliante !

Or malgré tous ses efforts, You Jiang ne parvenait à joindre les deux bouts. Chaque fin de mois, il rapportait une enveloppe bien trop fine de billets de 100 yuans – faute d’obtenir la prime de dépassement de l’objectif de vente. Parfois, la famille devait se priver pour parvenir à rembourser la banque.

You Jiang tentait de compenser ce manque de réussite en faisant sa part du nettoyage à la maison. Huang Lan lui en savait gré – mais ne pouvait oublier son rêve de prendre enfin sa vie en main.

La nuit du 11 au 12 juin 2016, une énième dispute eut lieu. Huang voulait tenter sa chance à Chongqing, mais You refusait catégoriquement, comme à chaque fois qu’elle lui en parlait. Suite à quoi ils s’étaient endormis en se tournant le dos…

Le lendemain, la vie bascula. You Jiang, à 8 heures, était parti pour sa centrale de vente. Quand il revint, pour déjeuner, il trouva un message de Huang qui partait quelques jours chez Ping, sa sœur à lui, résidant dans le centre de Chongqing. Là, elle pourrait au mieux trouver l’emploi de ses rêves, pour le mieux-être du couple et des enfants. Elle voulait saisir sa chance de « s’arracher d’un coup à l’insignifiance » (yī jǔ chéng gōng, 一举成名) – elle ne retournerait à Dasheng que quand elle aurait du travail !

You l’appela, mais la trouva inébranlable, butée dans la défense de son projet révolutionnaire : « à Chongqing, tous les jours s’ouvrent des écoles… Même les grandes entreprises publiques et groupes industriels recrutent chaque jour des personnes motivées comme moi. J’entends même parler de postes au bureau des parcs et forêts, et au consortium municipal du « cloud computing »… Pas question pour elle de faire marche arrière !

Irrité, le mari se rendait malgré tout compte que sa femme avait de bons arguments. Et son absence ne devrait pas durer trop longtemps : une quinzaine de jours au plus, avait-elle dit. Surtout, il ne pouvait rien faire. Aussi se résigna-t-il à l’inévitable. Chaque soir, elle lui passa un petit coup de fil, pour lui dire que tout allait bien. Au début optimistes et pleins d’espoir, ses messages se firent bien tôt plus allusifs et vagues…

Et puis dix jours après, tout dérailla. En fin d’après-midi du 22 juin, morte d’angoisse, Ping appela son frère You Jiang pour lui signaler la disparition de sa femme. Le matin, Huang était sortie comme chaque jour pour « des entretiens » – sans préciser quelles firmes, ni leurs adresses. Elle aurait dû revenir pour midi, ce qu’elle n’avait pas fait. Elle n’avait pas non plus téléphoné.

Sans perdre une minute, le mari se lança dans les mesures urgentes que sa raison lui dictait. Sur son portable, il appela un à un tous les amis du couple, la famille, les collègues, pour voir si d’aventure elle se serait signalé.

La journée du 23 juin coula, interminable. En matinée, You Jiang s’était rendu chez sa sœur pour glaner des détails dont elle eût pu se souvenir, et visiter la chambre qu’avait occupé son épouse – mais en vain.

Or le soir, de retour chez lui pour rejoindre ses filles, sonna son téléphone portable. Rapidement, il alluma le haut-parleur : ensemble, ils perçurent la voix étouffée de Huang Lan, suppliant des êtres anonymes de la relâcher, « ne me kidnappez pas, je sais que vous êtes de Changshou ! » (un autre district de Chongqing).

C’en était trop : You Jiang à bout de nerfs appela la police criminelle, pour dénoncer le kidnapping de sa femme !

Voici donc Huang Lan, kidnappée par de mystérieux ravisseurs. Qu’est-il en train de se passer ? Vous le saurez pas plus tard qu’au prochain numéro !

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1 Commentaire
  1. severy

    Quel suce-pinces! Je n’en dormirai pas. Par pitié, Eric, pas de crise cardiaque avant la résolution de l’énigme.

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