À peine dévoilée, l’existence du scarabée présidentiel fit sensation. Donner le nom d’une personnalité du XXIème siècle à un insecte qui agitait déjà ses mandibules au début de l’ère quaternaire, des centaines de millions d’années avant l’apparition de l’ancêtre de l’homme ne pense à se redresser sur ses jambes pour devenir l’homo erectus, n’a en soi rien d’extraordinaire.
En 2012, Barack Obama se voyait dédier « son » araignée, l’apostichus barakobamai et presque au même moment, Nelson Mandela le fondateur de l’Afrique du Sud multiethnique, avait le privilège de voir baptiser d’après son nom « sa » limace de mer, la Mandelia mirocornata. Mais les arguments déployés par Wang Chengbin pour justifier sa dédicace avaient quand même de quoi faire hausser les sourcils de bien des amateurs.
Wang déclarait vouer son admiration sans bornes envers le « docteur Xi Jinping », du fait d’un leadership « renforçant toujours plus la patrie ». Entre son insecte et le Président, expliquait-il, se discernait un parallèle d’une logique indiscutable, l’un et l’autre émanant une surpuissance incomparable au service de l’harmonie universelle. Le Rhyzodiastes (Temoana) Xii – nom qu’il avait trouvé pour son scarabée – dévorait le bois putréfié, et ainsi purifiait la nature. Xi Jinping lui, pourfendait les cadres moralement pourris, régénérant ainsi la société. Autre point commun, son insecte était rarissime, au point qu’ « en dix missions de recherche » à travers la forêt vierge de Hainan, « on n’en pouvait détecter qu’un seul spécimen ». De la même manière, Xi était « une personnalité comme on n’en trouve qu’une par siècle » ! Et donc, le Rhyzodiastes formait « une métaphore vivante » du chef de l’Etat, l’homme par qui la corruption finirait par disparaître du sol chinois…
Pour les services de la censure, toujours frileux quand est en jeu l’image publique de leurs leaders, l’argument était à la limite du recevable. Universitaires et journalistes commençaient déjà à cancaner sur cette comparaison osée entre un parasite xylophage et le Premier secrétaire du Parti.
Mais Wang sortit totalement des clous, quand bouillant de ferveur, il poursuivit la description de sa découverte. Décrivant avec minutie l’appareil reproductif du Rhyzodiastes, il évoqua sans gêne un « segment génital long et étroitement arrondi à la pointe »… C’en était trop, et les mauvais plaisants n’en finirent plus de se gausser de la comparaison malvenue.
Aussi il ne fallut que quelques jours à la censure pour fracasser le rêve de gloire de l’entomologiste. Le Président lui-même put réclamer l’interdiction de l’initiative de Wang, à ce qu’elle allait trop dans le sens d’un culte de la personnalité à la Mao. Cette tendance n’était déjà que trop présente à la radio et la télévision, sous la forme d’hymnes naïfs et importuns d’amour envers lui.
Mais surtout, si le malheureux scientifique, aveuglé par sa loyauté patriotique, ne voyait pas l’aspect scabreux de son éloge, l’appareil de surveillance de la pensée ne le voyait que trop—il fallait d’urgence, enrayer ce risque de « prêter le flanc au ridicule sous le ciel » (滑天下之大稽, huá tiān xià zhī dà jī ).
Aussi, rejetant la prétention de Wang d’offrir au Premier Secrétaire sa place au pinacle des naturalistes, la censure ordonna à tous ses agents « de détecter et d’éliminer toute référence » à cette affaire, dans les média et sur la toile. Et de fait, quelques minutes suffirent pour effacer toute référence à l’existence du scarabée iconoclaste : dans le monde médiatique, le Rhyzodiastes (Temoana) Xii replongea dans l’anonymat dont il avait été tiré quelques jours avant.
De façon bien humaine, Wang Chengbin, blessé, manifesta avec force sa déception face à cette fin de non recevoir. Il accusa des « jaloux » et des « ignorants » d’avoir « délibérément saboté sa découverte », et malicieusement interprété sa démarche, la détournant de son objectif qui n’était que pureté et loyauté. Les charges dont on l’accusait n’avaient aucun sens. Non sans candeur, il en appela au chef de l’Etat : « Ô Président aimé, c’est vraiment un scarabée rarissime, et le nom de l’espèce d’après votre patronyme, existera à jamais, tant qu’existera la science – c’est un honneur insigne ». Mais rien n’y fit. La mise à l’index fut maintenue.
À tout le moins, il obtint, il faut supposer que ce fut à son insu, de ne pas être inquiété comme dissident qui aurait joué à se moquer d’un édile de la nation sous prétexte de l’encenser. Pas un instant, sa bonne foi fut mise en doute. L’appareil remettait juste en cause son sens commun, une fois sorti de ses chères études et confronté à la vie réelle.
Enfin, la mésaventure du maladroit admirateur pourrait rappeler la fable de La Fontaine « L’ours et l’Amateur des jardins », ou encore, sur le même sujet, la boutade de Voltaire : « Seigneur, protège moi de mes amis—mes ennemis, je m’en charge ! ».
« Prêter le flanc au ridicule sous le ciel » 滑天下之大稽, huá tiān xià zhī dà jī |
Sommaire N° 28 (2016)