Les conclaves estivaux de Beidaihe sont parfois sujets à d’imprévus rebondissements, tel celui en 2012 où Hu Jintao, le Président sortant, avait voulu installer ses fidèles aux postes suprêmes, mais s’était vu contré par son prédécesseur Jiang Zemin, qui le mettant en minorité, avait imposé sa propre équipe.
De fin juillet à mi-août, le conclave balnéaire à 54 édiles s’est cette fois déroulé sans imprévu, mais dans une ambiance glaciale : trois années de campagne anticorruption, toujours plus rigide, avaient découragé toute velléité d’objection —voire de débat.
Depuis son arrivée fin 2012, Xi Jinping avec son Premier ministre Li Keqiang, guerroient pour des réformes de la finance, du crédit, de la taxation, du droit du sol, des consortia publics… Ils veulent—ou voudraient– redistribuer la manne publique, aujourd’hui déversée sur l’armée, l’administration et le secteur public, vers le secteur privé, les PME et les migrants – ces 350 millions de ruraux attendus dans les villes d’ici 30 ans.
Or, en bilan de ses quatre années de pouvoir dirigiste sur thème de « Rêve de Chine », Xi apparaît toujours plus isolé, sans opposition, mais aussi sans résultat. Tout se passe comme si, faute de pouvoir se confronter à lui, ses détracteurs au sein du Parti pratiquaient une sourde grève perlée, reportant indéfiniment les décisions. La conjoncture mondiale n’arrange rien : banques et consortia campent sur leurs positions, attendant des jours meilleurs : prêter aux riches, garder ses budgets non dépensés, est moins risqué que de prêter aux PME et aux paysans !
Dans ce contexte morose, Xi, à Beidaihe et après, doit préparer les prochaines échéances – le Plenum d’octobre et le XIX. Congrès de 2017. Il prépare l’équipe de son second quinquennat, promouvant ses amis et écartant les autres. 12 provinces sur 31 ont vu changer 1ers secrétaires et gouverneurs.
Chen Hao et Du Jiahao, alliés de Xi de sa période shanghaienne, héritent du Yunnan et du Hunan. Lou Yangsheng, autre fidèle, passe gouverneur « faisant fonction » au Shanxi : il remplace Li Xiaopeng (fils de l’ex-Premier ministre Li Peng) qui passe ministre des Transports. Zhang Chunxian, patron du Xinjiang, est mis au placard (proche de Zhou Yongkang), remplacé par Chen Quanguo, l’ex-secrétaire du Tibet.
Pendant ce temps, la campagne anticorruption continue ses ravages. Le 26 août tombent le général Wang Jianping, victime de ses mauvaises alliances (Zhou Yongkang), et Wang Bao’an, ancien Président du Bureau national de statistique.
Enfin, deux questions brillent à l’horizon 2017 :
– Li Keqiang sera-t-il maintenu en 2017, ou bien remplacé, par exemple par Wang Qishan, patron de l’anti-corruption ? A ce stade, rien ne vient en soutien de cette rumeur—au contraire, Chen Quanguo, le nouveau patron du Xinjiang en plein décollage, serait le protégé de Li.
– Xi tentera-t-il de se succéder à lui-même en 2022 pour un 3ème mandat, contrairement aux règles internes du Parti ? Avant lui, tous ses prédécesseurs ont tenté de le faire, et tous ont échoué, contrés par un Bureau Politique arcbouté sur ses statuts et sa légalité interne.
Sur ce dernier point, le Plenum d’octobre devrait apporter un éclairage. En effet, statutairement, le successeur du leader suprême en 2022 doit être désigné à ce moment. De 2012 à 2014, Hu Chunhua, actuel Secrétaire de Canton, et Sun Zhengcai, aux manettes à Chongqing, apparaissaient bien placés. Aujourd’hui, tous deux semblent en panne. Si aucun favori n’apparaît à l’issue du Plenum, ce sera un indice que Xi Jinping, à son tour, est aux manettes.
– En parallèle à ces manœuvres, se poursuit l’effort jacobin de rectification de l’administration – témoin de l’exigence de Xi Jinping de s’assurer de l’obéissance de ses cadres.
Depuis le 22 août, toute organisation, même non gouvernementale (ONG) ou semi-publique, est astreinte à ouvrir sa cellule du Parti. Le 18 août, lors d’un meeting pékinois, 60 rédacteurs en chef de sites d’information sur internet, se voyaient notifier l’obligation d’étayer leurs nouvelles aux sources officielles (agence Xinhua). Le message arrive un mois après le limogeage de Wang Yongzhi, rédacteur en chef du portail web de Tencent, suite à une malheureuse erreur de frappe dans un article sur Xi Jinping.
– La campagne se tourne aussi, plus résolument, vers les arts et le divertissement. Les censeurs ne supportent plus les fortunes insensées de certaines idoles comme Fan Bingbing, 5ème actrice la mieux payée au monde en 2015 avec 17 millions de $ de recettes. Dans sa tentative de moraliser le métier, la tutelle SARFT décrète aussi que dorénavant, tout artiste « teinté » (condamné en justice pour affaire de drogue, mœurs ou financière), sera banni du monde des salles obscures ou du petit écran.
Pour chapeauter le tout, une campagne démarre pour débusquer toute émission TV célébrant trop ostensiblement des valeurs « occidentales », montant en épingle la vie privée des célébrités ou raillant des valeurs ou des héros nationaux. La SARFT essaie ainsi de réguler les 400 shows de chants et de danses sur les 2000 chaines de TV chinoises, et la concurrence féroce qu’ils se livrent. Cependant par ses critères volontairement trop vagues, cet effort de reprise en main laisse tout pouvoir à l’arbitraire. Or les producteurs et le public, particulièrement la jeunesse, ne pourront difficilement revenir à une ère de conformisme moral. Cette campagne, ils chercheront et trouveront bien un moyen de la contourner…
Sommaire N° 27 (2016)