A l’âge de 8 ans, un spectacle du Mime Marceau, éveilla la vocation de Philippe Bizot. Plus tard à 18 ans, ce fut Jean-Louis Barrault, l’inoubliable Baptiste dans « Les Enfants du Paradis » (de Marcel Carné) qui confirma sa passion, et le mit sur les rails—sur scène. Deux ans plus tard, à 20 ans, il remportait le Concours international de Pantomime de la Ville de Paris puis commençait à faire des tournées à travers le monde entier.
Le Vent de la Chine : Philippe Bizot, comment êtes-vous arrivé en Chine ?
Depuis 40 ans, je traîne mes ballerines et mon maquillage blanc à travers les cinq continents, entre Togo et Congo, Mexique et Bolivie, Pakistan et Chine. À chaque étape, je me penche sur les arts scéniques locaux, mais aussi sur la manière de vivre et les expressions de visage. Pour moi, le mine est un langage sans paroles : depuis toujours, je m’efforce de le transmettre et de l’enseigner. Je l’utilise même comme thérapie à divers maux, tels surdité, mutisme, autisme ou dépression.
Avec la Chine, le rapport s’est avéré exceptionnel. Dès mon enfance, j’ai été fasciné par cette terre d’Extrême-Orient, son peuple et ses rites. En 1984, lors de ma première visite, j’ai découvert l’Opéra de Pékin et passé beaucoup de temps à observer le travail des acteurs chinois, leur gestuelle, la symbolique très élaborée des costumes et des fards. Depuis, je suis revenu une douzaine de fois. J’ai eu la chance de rencontrer Wang Xiang, un médecin-dentiste qui, ayant fait fortune, avait décidé de créer son propre théâtre de poche, le Penghao, dans le quartier de Nanluoguxiang à Pékin. Son objectif était de mettre à portée des locaux des spectacles d’avant-garde et de contribuer à réintroduire dans la ville une certaine liberté de création artistique. Très bientôt, Wang me proposa de venir me produire sur sa scène, presque chaque année. Ceci m’a permis chaque fois d’enchaîner sur des tournée en province, entre Shenyang, Qingdao, Shanghai et bien d’autres.
Le VdlC : Vous lancez à Pékin « Yuan’En », la première école chinoise de pantomine … Pouvez-vous nous en dire plus ?
Avec Émilie Kong, diplômée de Sciences Po Paris et Zhang Yang, son mari cadre dans un très important fond d’investissement privé, nous avons obtenu le financement pour un centre artistique d’aide à l’enfance. Yuan’En, école privée dirigée par Emilie se consacre à l’expression des arts scéniques, danse, cinéma, théâtre et mime. Elle est la seule et la première à enseigner le mime en Chine qui, jusqu’à présent, en ignorait tout. Installée dans deux cours carrées en plein cœur de la vieille ville, notre école vise, à travers ces arts, à faire découvrir à l’enfant, sa sensibilité propre, sa personnalité et sa gestuelle, et ainsi à lui donner la clé de lui-même.
Le VdlC : Avec quel succès ?
Dès l’ouverture en avril 2016, 11 écoles pékinoises se sont inscrites pour des stages réguliers. Puis nous nous sommes vite aperçus que les blocages des enfants étaient presque toujours liés à l’incapacité de communiquer des parents, fléau qui cause en Chine un conflit de générations. Aussi Yuan’En travaille aussi avec les parents, à travers tous ces modes d’expression qu’il enseigne.
Le centre s’apprête aussi à lancer son mini-studio de cinéma pour saisir le travail des enfants – le premier film sera pour juillet. Ses émissions sont commandées par diverses chaînes publiques et privées de télévision.
Le VdlC : Comment abordez-vous ces enfants de culture si différente ?
Je dois d’abord créer les conditions nécessaires : les parents doivent quitter la salle, pour couper les enfants d’une relation d’autorité familiale et collective. Ceci débloque l’imaginaire. Puis j’observe les enfants, je suggère à chacun un jeu à lui, mais sans rien imposer, me contentant de lancer des pistes.
Je ne joue jamais devant les enfants : ils doivent devenir eux-mêmes, pas un clone du Mime Bizot. Dans une classe, pour 24 petits, sur un même thème proposé, je recevrai 24 interprétations différentes.
Le VdlC : Quels autres projets avez-vous ?
Il y a en Chine une immense demande en pédagogie. J’ai été sollicité pour former les éducateurs de 20.000 garderies, pour tourner des films pédagogiques… J’interviens aussi dans des ateliers pour adultes. J’achève la rédaction de deux livres.
Le VdlC : Avez-vous pour nous une anecdote marquante ?
Quelle que soit la tranche d’âge, quand je travaille avec des gens, il faut qu’on arrive au fond du sujet, à de l’authentique, sortant du convenu, à du vécu, doublé d’émotions. C’est difficile, mais on y arrive toujours. J’ai reçu des patrons d’entreprises chinoises, habitués à arborer face au personnel un masque impersonnel d’autorité. Dans ce cas, pour trouver la clé de l’émotionnel, je leur demande 10 mots de référence sur leur enfance. Alors, quand sortent ces mots et qu’ils se revivent les souvenirs de leur passé, je les vois souvent se déconstruire, parfois se mettre à pleurer. Une fois, l’un d’eux m’a dit : « le dos de papa ». Quelle image magnifique, pour qui connait la Chine ! Le petit est à bicyclette derrière son père, protégé, en route vers l’école… et 30 ans plus tard, l’image vit toujours en lui, cachée, mais aussi pure qu’au premier jour.
1 Commentaire
severy
14 juillet 2016 à 13:17Excellent reportage!
Dérobotiser les victimes de l’embrigadement étatique est un programme ambitieux.