Les 27-29 juin à Tianjin, le Premier ministre Li Keqiang, face au Gotha du World Economic Forum, ne cacha pas le choc causé par le Brexit, auquel nul au sein du Bureau politique ne s’attendait. Selon Li, ce vote du peuple britannique pour quitter l’Union Européenne, avait « renforcé l’instabilité politique et financière mondiale ».
Pékin voyait ainsi justifiée sa méfiance envers la voix de la rue, décidément trop capricieuse et imprévisible. Mais Li tentait de rassurer : « nous disposons d’une boite à outils bien équipée, pour faire face à de plus grands défis ». Il admettait tout de même implicitement le souci du gouvernement, sur l’impact du fossé entre UE et Royaume-Uni, sur l’économie chinoise.
Car les économistes n’hésitent plus à prédire, en sus des pertes d’investissements Outre-Manche, une coupe cruelle des exportations chinoises et un renforcement relatif des surcapacités industrielle, surtout charbon et acier, malgré l’effort en cours pour les résorber. En sus, la fuite des capitaux, déjà latente avant ces événements, va s’exacerber—c’est pourquoi l’Etat tente de renforcer son contrôle sur les moyens de paiement par internet, les cartes de crédit et les investissements étrangers directs – la plupart de l’accès privé au crédit.
On voit aussi réagir la frange conservatrice du régime, prônant la dévaluation du yuan (« 4 à 5% d’ici décembre », selon la Banque centrale, pour compenser l’appréciation inévitable du $), la planche à billets (des stimuli à la croissance), accompagnées d’un renforcement de la censure et de l’intolérance envers toute dissidence. Surtout, cette tendance réclame le report de la réforme des consortia publics – mettant en berne l’agenda juste promulgué visant à laisser au marché un plus grand rôle, et à faire des réformes financières, promises mais non délivrées par l’équipe dirigeante depuis son avènement en 2012. Quand débute la tempête du Brexit, prendre ces risques n’est plus d’actualité.
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Le hasard veut que depuis janvier, suite à un virage électoral, Taiwan renie 8 ans de ligne politique pro-Pékin: Tsai Ing-wen, sa Présidente issue du parti indépendantiste DPP, refuse de reconnaître le « consensus de 1992 », par lequel l’île admettait l’existence d’ « une seule Chine ». Dès lors, côté continental, les hostilités sont lancées pour forcer l’île à plier l’échine : tel le gel du dialogue politique, l’interdiction à la délégation taïwanaise d’assister à l’Assemblée Générale de l’OMS autrement que comme observateur ». Le coup le plus sévère a été la réduction du quota des touristes chinois. 2015 en avait vu atterrir 4,1 millions, qui avaient rapporté 7,1 milliards de $. Mais 2016 n’en laissera plus passer que de deux millions…
Face à la tempête, l’île constatant sa dépendance économique envers Pékin, garde profil bas, y compris au sein du Parti au pouvoir : nombre de jeunes cadres DPP refusent un poste de ministre de peur de porter un coup fatal à leur carrière. Tsai a dû nommer des hommes plus âgés, proches du Kuo Min Tang (plus pro-Pékin) aux postes-clés des Affaires étrangères, de la Défense, des Affaires chinoises… Face à l’orage, la malheureuse Présidente ne peut que prêcher dans le désert, adjurant Pékin de croire en sa « sincérité »…
Or, la situation ne va pas s’améliorer, à présent qu’éclate la crise du Brexit. Certains observateurs avancent que Xi Jinping, hier compréhensif envers la sensibilité britannique « séparatiste », souhaiterait désormais plutôt voir le Royaume-Uni souffrir de sa sortie de l’UE – ceci afin d’éviter que Taiwan n’aille croire que se séparer du continent pourrait se faire sans cris, ni douleur !
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A Hong Kong enfin, au même moment, se déroule un scénario comparable.
On connait l’histoire des cinq libraires/éditeurs hongkongais mystérieusement disparus durant de longs mois, avant que 4 ne resurgissent, et trois prétendant s’être rendus en Chine de leur plein gré. Mais l’un d’eux, Lam Wing-kee, a fourni depuis une autre version, alléguant avoir été séquestré à Shenzhen, puis à l’intérieur du pays, et longuement interrogé.
Suite à cette entorse au principe « un pays, deux systèmes », le gouvernement local de C.Y. Leung a fini par réclamer des comptes à Pékin, qui semble soudainement d’accord pour des « pourparlers », non sur le fond (la liberté d’expression sur le « Rocher »), mais sur le mécanisme de « notification des arrestations ».
C’est alors qu’apparaît un étrange groupuscule de 22 activistes, revendiquant le retour d’une « souveraineté locale », d’abord sous loi britannique, puis l’indépendance – bigre ! Une exigence impossible, mais qui exprime le désespoir d’une jeunesse perdue, et l’abandon de la cause par des parents fatalistes – ou réalistes.
Un autre contentieux sur l’enclave hongkongaise surgit du Canada, qui s’inquiète de voir Pékin rejeter les demandes de visas de 10 ans pour les binationaux hongkongais-canadiens. Certes, la Chine récuse en principe toute double nationalité, mais Hong Kong, jouissait jusqu’alors d’une tolérance.
Le hasard du calendrier marquait au 1er juillet, le 19ème anniversaire de la rétrocession de Hong Kong à la Chine. On aurait pu souhaiter, pour ce moment de fête, des nouvelles plus encourageantes.
Sommaire N° 24 (2016)