Depuis le lancement en 2013 de la stratégie « une ceinture, une route » (一带一路, yīdài yīlù, ou OBOR, selon l’acronyme anglais), nombre de chantiers ambitieux fleurissent hors frontières. En 2015, 4000 projets étaient signés, pour 92,5 milliards de $, 44% des contrats extérieurs. C’est un départ « sur les chapeaux de roue ». Mais certains projets laissent une impression contradictoire : vitesse fulgurante, mais aussi immobilisme face aux obstacles rencontrés – prix à payer pour la précipitation initiale.
Au Royaume-Uni, la CGN, compagnie nationale nucléaire de Chine va financer à 33,5% le complexe de réacteurs EPR à Hinkley (Somerset), le reste étant à charge d’EDF, auteur du projet. Il en coûtera 23 milliards d’€. Or la confirmation d’EDF, faisant face à d’autres échéances, se fait attendre. Au cas où EDF devait faire défaut, CGN dément vouloir poursuivre seule ce chantier : CGN s’en tiendrait à son propre projet, un réacteur Hualong-1 à Bradley (Essex). Aussi pour l’heure, la poursuite de ce projet-phare n’est pas assurée.
Au Venezuela en 2013, la ligne TGV Tinaco-Anaco, bâtie par China Railways, devait transporter 5 millions de passagers et 9,8 millions de tonnes de fret/an, moyennant 7,5 milliards de $ (pour 468km) financés par la Chine. Or le chantier est à l’abandon. La chute du cours du pétrole, 1ère ressource du pays, l’a fait capoter. Le régime d’obédience marxiste doit 50 milliards de $ à Pékin, qui jette l’éponge…
En Russie, la ligne TGV Moscou-Kazan va mieux—Chine et Russie s’efforçant d’élargir leur alliance au-delà des livraisons d’hydrocarbures. Le tronçon de 770 km coûtera 19,5 milliards de $. Les firmes chinoises ont emporté les fournitures (sauf le matériel roulant à coproduire en Russie) et se voient promettre pour 2018 le contrat de génie civil, en JV. A terme, les 7000 km de TGV devraient rejoindre le réseau chinois, suivant le tracé du Transsibérien, pour 250 milliards de $ – mais avec quel argent, et pour quels voyageurs ?
Ces mégaprojets ne sont pas seuls à subir une naissance compliquée. En Thaïlande, les palabres pour l’axe ferré Bangkok-Nong Khai (874km) achoppent depuis 2010 sur l’insistance chinoise à tout contrôler – construction, finance et gestion. Dans l’esprit des concepteurs chinois, cette ligne est moins une entité « thaïe », importante au désenclavement du Nord du pays, qu’un tronçon de « son » axe stratégique Pékin-Singapour. Mais Bangkok a tenu bon : le 9 mai, un accord est passé, selon lequel la Thaïlande garderait la maitrise financière (même si Pékin avancera tout ou partie des fonds, en échange de l’exclusivité des fournitures), et la concession (billetterie), même si l’opérateur local sera formé en Chine.
D’autres projets ont capoté, telles les lignes Mexico – Queretaro (Mexique) ou Ryad – Medina (Arabie Saoudite). D’autres peinent à convaincre, telle la ligne Madrid—Yiwu ouverte en mars, acheminant en Chine en 18 jours (13.000km) pour 2000€ par conteneur, avec en prime des spots TV gratuits à l’arrivée. Les exportateurs espagnols ont boudé l’offre : sur 39 trains arrivés à Madrid, seuls 9 sont repartis pleins. En effet, le prix est double par rapport à celui du bateau, et cette route sibérienne n’est utilisable que trois mois par an.
Tous ces soucis sont liés aux buts initiaux du plan « une ceinture, une route ». La Chine voulait d’abord trouver de nouveaux marchés pour alléger sa surproduction en matériaux de construction. Mais ce problème eût été mieux réglé en fermant des aciéries ou cimenteries. Or trois ans plus tard, la Chine ne l’a pas fait – et va devoir le faire, quelque soit le succès des projets « OBOR ».
Une autre motivation était plus abstraite et stratégique : il fallait ouvrir des routes non maritimes, hors d’atteinte d’un blocus américain. Ainsi, la rentabilité ne pouvait pas être atteinte à l’arrivée ! Tom Miller de Gavekal Dragonomics (Pékin), cite des patrons chinois de projets OBOR qui s’attendent (en privé) à des pertes jusqu’à 80% de leur investissement au Pakistan, 50% en Birmanie, 30% en Asie Centrale. Mais ce sont des fonds publics…
Autre problème : le déploiement du plan « OBOR » se fait dans le désordre. Un économiste indonésien le remarque, provinces et ministères chinois y vont de leurs projets sans coordination (contrairement au Japon, qui supervise ses projets commerciaux extérieurs depuis son ministère du Commerce, à Tokyo).
De plus, depuis l’Université des Relations Internationales (Pékin), le professeur Chu Yin dénombre parmi la masse des investissements « OBOR », une quantité de projets médiocres, qui ne seront jamais rentables et au contraire, émettent tout un champ d’ondes négatives auprès des puissances régionales (Japon, Inde, et même Russie), tout en alimentant des soupçons de néocolonialisme dans les pays d’accueil.
Dernière donnée intéressante : les financiers institutionnels chinois se mettent à attirer les crédits étrangers vers les projets OBOR : fonds de pension, assurances ou fonds souverains internationaux se voient promettre des retours de 6 à 8% à long terme. Ainsi, la CCB, seconde banque commerciale chinoise, crée avec International Enterprise, bras financier du gouvernement de Singapour, un fonds « spécial OBOR » de 30 milliards de $. De tels projets peuvent devenir une manne pour l’étranger, combinant profitabilité et garantie d’Etat. Pour la Chine, on peut y deviner trois considérations : la raréfaction du crédit intérieur, le désir de protection du capital de ses banques, et l’expression de la détermination du pouvoir, à poursuivre le projet – en y associant le monde.
1 Commentaire
severy
2 juin 2016 à 14:28Un article comme on les aime! Encore! Encore!