Pour la première fois en 12 ans, la récolte 2015-2016 de blé en Chine chutera de 100.000 tonnes. Malgré cette baisse, elle restera tout de même en tête des nations avec 130,5 millions de tonnes, soit 21% de la récolte mondiale (juste derrière l’Europe des 28).
Donc, pas de quoi s’alarmer : la demande sera de 110 millions de tonnes, soit 17% de celle mondiale, selon les chiffres de la Conférence Nationale des récoltes prévisionnelles du 22 avril. De plus, les stocks de blé chinois restent importants.
1ère raison à ce recul : l’exacerbation de l’effet el Niño, une variation du Gulf Stream déréglant le climat autour des océans. Cet effet inquiétant peut expliquer en partie le récent revirement de la Chine se ralliant au plan de l’ONU contre le réchauffement climatique, en décembre 2015 à la COP21 de Paris.
Une autre raison est admise : la disparition rapide des « ceintures vertes » des villes, grignotées par les projets d’urbanisation. L’Etat estime la perte en emblavures d’ici 2025 à 0,9% du total (110 millions d’hectares), en dépit des milliards de yuans investis dans leur maintien. Ces efforts n’ont pu empêcher les terres à blé d’être réduites de 20.000 hectares en 2015-2016, à 24,12 millions d’hectares.
Selon l’étude du journal Natural Climate Change, le changement climatique fera reculer en Inde ou en Chine le blé irrigué de 4%. L’enquête menée sur 6 pays voit la perte en partie compensée par un gain de 10% au blé « de pluie ». Peut-être de ce fait, l’Office National des Grains croit voir la récolte de blé augmenter de 2% d’ici 2025, à 133 millions de tonnes, aidée par l’introduction de variétés à meilleur rendement, voire de synergies avec des produits phytosanitaires issus du rachat du consortium helvétique Syngenta par SinoChem.
Cet espoir est-il plausible ? Probablement, mais il faut aussi prendre en compte d’autres causes de baisse de récolte en Chine, moins mises en avant par le régime. L’une est la raréfaction de la main d’œuvre agricole, suite à l’exode rural. Seuls les vieux paysans restent au village pour cultiver les lopins, avec moins de force et de dynamisme pour moderniser. Un autre handicap est la ponction de l’irrigation sur les nappes phréatiques. Par conséquence, leur niveau baisse de dizaines de mètres, induisant des phénomènes de subsidence (affaissement du sol) et de remontée de sels minéraux (arsenic, métaux lourds…). Les cas d’empoisonnement des récoltes se multiplient ces derniers années.
L’Etat réagit tardivement pour protéger la ressource aquifère, avec la publication l’an passé d’un grand plan décennal doté de centaines de milliards d’euros pour épargner l’eau. La semaine passée, un « Institut des affaires environnementales publiques » publiait une 1ère carte nationale de la pollution, selon 13 types d’effluents, qui donnera enfin aux cadres et aux ONG les moyens d’identifier plus vite les emblavures polluées.
Ren Zhengxiao le directeur national de l’Office des Grains, lors de cette conférence, réitérait la promesse de l’Etat de ne déstocker que des céréales saines…
Bilan : les plaines à blé du Hebei et du Dongbei ne peuvent plus supporter la production intensive des 30 dernières années, sauf moyennant un changement complet de moyens agronomiques. Ceux-ci sont urgents et indispensables. Selon Ren, les autorités font face à une demande « rigide et en hausse constante » en grains, pour consommation directe, ou comme aliment du bétail, ou comme matière première de bière et alcool. La Chine s’enrichit, consomme plus de viande, poisson, lait, et voit sa natalité redémarrer, d’où plus de bouches à nourrir.
A long terme, pour le pays, la bataille est engagée sur les champs de Chine, pour une agronomie maintenant un équilibre délicat entre quantité, qualité et « durabilité ». Un grand pas en ce sens a eu lieu en avril avec l’abandon du prix garanti du maïs, du blé et du coton. Ce prix, jusqu’au double du mondial pour le maïs, était la cause n°1 de la surcharge du stockage public de cette céréale.
Sur ce chapitre, M. Wen, à la conférence nationale, se plaignait d’entrepôts souvent médiocres, causant des destructions par la vermine ou la germination. Quant au montant des pertes, l’Etat garde jalousement les chiffres secrets, mais les spécialistes étrangers les évaluent : d’après les Etats-Unis, la réserve en maïs atteindrait 250 millions de tonnes (un an de consommation de la nation) et la perte à 20 millions de tonnes au bas mot pour « 10 milliards de dollars par an ».
Ren déplore au passage l’apathie du secteur privé pour créer son propre stockage, complémentaire à celui de l’Etat. De ce fait, Pékin n’a d’autre choix que d’annoncer la construction ou rénovation de silos dans les provinces « greniers à blé », mais vu les volumes titanesques à « reloger », les moyens ne suffiront pas, selon toute probabilité.
L’indifférence des acteurs privés pour le stockage, permet de deviner un dernier secret de l’agronomie chinoise, qui en compte décidément beaucoup : l’Etat n’a pas encore dit par quoi il compte remplacer le prix garanti ? Car il faut inciter le paysan à produire davantage pour le marché, et pour lui éviter de perdre son gagne-pain ou même de laisser ses champs en jachère, allant gagner sa vie ailleurs. Les céréaliers américains s’attendent à voir émerger une nouvelle grille de prix alignée sur les cours mondiaux, et intégrant (si les critères sont remplis) une prime à la production durable. La toucherait par exemple le fermier réduisant son usage d’engrais, aujourd’hui le quadruple de la moyenne occidentale.
Sur cette révolution silencieuse en route, on verra sans doute plus clair, d’ici la fin de l’année.
Sommaire N° 16-17 (2016)