C’était une belle école, ce nouveau site du collège des langues étrangères de Changzhou (Jiangsu) inauguré en septembre 2015. Bâti sans lésiner pour 42 millions d’euros, il s’étalait sur 62 hectares de bâtiments sur 5 étages de lieux de vie et d’étude – 2500 élèves se partageaient 210 professeurs triés sur le volet. Son prestige lui assurait une longue liste d’attente, nonobstant l’annuité jusqu’à 60 000 ¥ par an.
Aujourd’hui, l’école de Changzhou est au cœur d’un scandale pénible. Elle a été bâtie sur le site de trois usines chimiques, déménagées en 2010 en laissant un sous-sol gorgé de substances nocives—méthylbenzène, acétone et chlorobenzène entre autres, ce dernier en concentration 100.000 fois supérieure à la norme.
À peine le collège transplanté sur son nouveau site à l’automne 2015, débutèrent les céphalées, dermatoses et bronchites. Les parents réclamèrent le déménagement, mais la direction s’enferra dans le déni, même quand la CCTV diffusa un reportage accablant : des 641 enfants testés dans 8 hôpitaux, 493 souffraient de déficience en globules blancs, lymphomes, leucémies, problèmes de thyroïde… La mairie insista que l’air et le sol étaient conformes aux normes, et ne décompta que « 133 malades », et de maladies autres et moins graves, « normales pour cet âge ». Elle conclut en protestant contre le « reportage erroné… incompréhensible, à quelques semaines des examens ». Ce qui ne l’empêcha d’avancer mystérieusement, d’un mois les congés d’hiver.
Pendant ce temps, le collège faisait racler en surface 1500 m3 de matériaux contaminés, remplacés par une couche de calcaire. Ainsi, disait-il, le problème était réglé. Et quand, mi-janvier, 1000 parents faisaient un sit-in nocturne pour réclamer l’abandon du site, l’école leur envoyait le lendemain la police à domicile. Ceux d’entre eux employés par l’Etat, seraient congédiés s’ils insistaient.
Pékin, heureusement, réagit enfin : le Conseil d’Etat promet une enquête, et Ma Jun, à la tête d’un Institut des affaires publiques et environnementales, dénonce dans cette affaire une accumulation de « fautes à presque tous les niveaux de supervision ». Il est en somme trop tard désormais pour couvrir le scandale, et la colère gronde. Au 18 avril, un site internet sur le scandale avait reçu 30 millions de clics. Car l’incident permet aisément de déceler sa cause profonde : l’absence de loi sur la pollution du sol, laquelle est toujours en discussion depuis des années. Elle pourrait passer au Parlement cette année.
Incompétence et inconscience sont aussi visibles à plusieurs points de la chaîne de décision : le terrain avait initialement été déclaré impropre à cet usage scolaire, et la construction du collège avait pourtant débuté sept mois avant la fin de l’étude d’innocuité environnementale, laquelle avait conclu en autorisant le chantier, « à condition de ne pas utiliser l’eau locale ».
Le problème n’est nullement isolé. Au moins deux autres lycées, à Haiyan (Jiangsu) et Jinan (Shandong) accusent des problèmes d’environnement précaire et de santé. Au plan national, 19% des terres arables sont plombées (cadmium, nickel, arsenic, plomb, mercure), 500.000 sites dits « bruns », plus lourdement que d’autres.
C’est le prix de 40 ans de rejets dans la nature des déchets industriels. Selon les experts, pour tout nettoyer, il faudrait 950 milliards d’euros, un tiers des réserves nationales en devises. Et encore, la technologie manque… Seulement 320 firmes expertes en recyclage sont établies nationalement, et la majorité souffre de compétences limitées.
Aussi, ce scandale a le potentiel d’égaler en charge émotionnelle, celui des explosions au port de Tianjin de l’été dernier. Pour le gérer, il faudra du courage, et du doigté : dans l’urgence, tout reste à faire. On y vient, et même vite, mais la question est si le mouvement pourra prévenir des scandales comme celui-ci, et des explosions de colère de la rue.
2 Commentaires
anneribstein
25 avril 2016 à 15:27C’est un article qui informe et donne à penser. Il propose à la lecture tout ce que l’on demande à un article de journal.
Merci
AR
severy
26 novembre 2016 à 21:21Pendant un moment, j’ai cru que le titre de cet intéressant article était: »Une si belle vérole… ». Notez qu’on aurait aussi bien pu le titrer, pour paraphraser un célèbre film : »Maladie en sous-sol ».