Du point de vue de l’Etat, la session de l’Assemblée Nationale Populaire a eu un but majeur : rassurer les élus et le peuple, sur le fait que le frein à la croissance est voulu et sous contrôle.
La surprise a été la résistance constatée par des élus pas aussi complaisants que prévu, opposant leurs objections et doléances.
Lai Xiaomin, Président de Huarong, une des quatre structures de défaisance ouvertes en 1999 pour écouler les actifs faillis, avertit que ces compagnies commencent à manquer de fonds, vu la multiplication des faillites, et d’emplois perdus dont les titulaires doivent être recasés. Ce qui fait réfléchir : l’Etat parle de « 1,8 million » en 2 à 3 ans. Mais des cadres anonymes évaluent l’objectif réel d’emplois à supprimer à six millions (le seul Hebei doit « dégraisser » 60% de ses aciéries, et des experts européens, sur base des dettes connues des conglomérats publics, estiment que ce dernier chiffre ne ferait que 10% du total réel).
Zhou Liqun, n°2 d’une firme d’investissements, n’a « jamais cru à l’objectif de commerce extérieur de +6% pour 2015 », dont le bilan avait fini par s’élever à -8% en $. Avis de Zhou : « l’Etat a fort sous-estimé les difficultés de l’économie mondiale » et devra « réfléchir en profondeur, pour éviter la répétition du même échec cette année ». C’est un avertissement sans frais, d’un homme du sérail : Zhou Liqun est conseiller spécial du Conseil d’Etat.Fan Yun, femme d’affaires shanghaienne, restaure l’image de semi-liberté du Parlement en osant s’indigner contre la CSRC, tutelle de la bourse. Fan l’accuse de « détruire la classe moyenne » en jouant avec son épargne. Xiao Gang, Président de cette instance, vient d’être limogé suite au dernier dévissage de la bourse de Shanghai, implicitement pour incompétence. Mais Fan Yun force peut-être un peu le trait : seulement 14% de la population est concernée par ces pertes en bourse – laquelle en tout état de cause, est loin d’être coupable de tous les maux de l’économie du pays…
Le rendez-vous des édiles a aussi été l’occasion d’un fugace regard sur les luttes internes du Parti. Pas de nouvelles de la mouvance de Jiang Zemin, mais plutôt de celle de la Ligue de la Jeunesse, fief traditionnel de Hu Jintao (prédécesseur de Xi Jinping), que la CCID (police du Parti) dénonçait comme « bureaucratique, rond-de-cuir, autocentré et hédoniste ». Ces accusations sont graves — elles s’adressent collectivement au corps de ses membres, qu’elles taxent de style de vie extravagant, et de corruption. Pour se défendre, la Ligue a livré un vibrant plaidoyer : Luo Mei, secrétaire du Comité Central de la Ligue tenta de faire valoir que la « Tuanpai » (nom chinois de la Ligue) serait la réserve du Parti et non celle des mandarins, et sa raison d’être, le service du Peuple.
Ce sont des grands mots, de circonstance sans doute, mais qui s’inscrivent dans un combat pour la survie de cette organisation historique, la plus audacieuse et réformatrice au sein du PCC. Au nom de la Tuanpai, Mme Luo signala ses prochaines priorités : les migrants, les jeunes entrepreneurs, et ceux qu’on appelle « la tribu des fourmis », les jeunes diplômés appauvris et sans travail, massés par millions à l’orée des grandes villes. Ce n’est pas un mauvais calcul, car cette population est peut-être pauvre aujourd’hui, mais sera la classe la plus dynamique et formée de demain—le prochain groupe d’influence.
Sommaire N° 9-10 (2016) "Spécial Deux Assemblées"