Editorial : La Chèvre au feu, vive le Singe !

Le 7 février à minuit, pétards et feux d’artifices à travers la Chine célébrèrent le passage du signe de la Chèvre à celui du Singe de feu. Néanmoins, signe de frugalité et dans un souci environnemental, ils résonnèrent moins forts que l’an passé (ventes divisées par deux à Pékin, et bannies dans le centre de Shanghai). Dans la capitale, les foires traditionnelles (庙会, miàohuì) furent limitées à 5 jours seulement, avec moins de stands, de confiseries et de spectacles d’acrobaties. Pour écarter tout risque d’attentats, partout dans le pays des forces de police et militaires étaient déployées dans les gares, métro, parcs et temples…

Le soir du chūnwǎn (春晚), le gala télévisé (cf photo) fut distraitement suivi par plus de 700 millions de téléspectateurs. Glorifiant la fonction militaire, il alterna sketches de comiques gominés et danses d’ethnies minoritaires aux costumes chatoyants. Pendant ce temps, plus 8 milliards d’e nveloppes rouges virtuelles (红包, hóngbāo) furent échangées, 8 fois plus que l’an passé. 

Personnifié par Sun Wukong (孙悟空), le facétieux héros du Voyage à l’Ouest (le roman identitaire du Céleste Empire), le Singe est un signe astral espiègle, courageux, bon vivant et plein d’astuces – contrairement à la chèvre condamnée à errer, ventre creux, aux flancs des collines pelées… Aussi sous ce nouveau signe, plus souriant, les démographes attendent un bond en avant des naissances, +20% et dans Pékin 300.000 bébés en 2016. Il arrive au Singe, pourtant, de se montrer sous un jour moins positif -obstiné, cabotin, irritable. Pour les Chinois donc, 2016 est pleine d’incertitudes. Le Singe saura-t-il flouer la crise, ou bien toutes ses ruses n’aboutiront-elles qu’à un feu de paille, vite suivi de cendres, et de dégâts telle l’implosion de la bulle immobilière dans l’année ?

Du 24 janvier au 3 mars, des nuées de citadins auront visité le laojia (老家), village natal. Les 2,91 milliards de voyages prévus se seront déroulés mieux que de coutume. La vente par internet de tickets nominatifs découragea faux billets et ventes à la sauvette, et le train fonctionna mieux : par -10°C en gare de Canton, seuls 100.000 passagers furent bloqués 10 heures le 2 février, un net progrès par rapport aux 900.000 qui avaient été retenus 3 jours en 2008. 

Au chapitre porte-monnaie, ce chunjie fut frugal : 66% des salariés, 5% de plus qu’en 2015, n’eurent pas de prime. Afin d’échapper au poids des traditions et de couper court aux critiques quant à leur célibat, innombrables furent les jeunes ayant loué (3000¥/semaine) un ou une fiancé(e) pour duper leurs (grands-)parents. L’offre la plus sophistiquée vint de Hong Kong, dont les agences spécialisées préparèrent les faux couples à répéter les détails du prétendu amour. Les acteurs s’engageaient aussi à ne pas fumer, et moins encore à s’embrasser, seuls quelques gestes tendres étant tolérés afin d’accréditer l’illusion de cette relation imaginaire. 

Ainsi, les statistiques de ce cru 2016 du « chunjie » le montrent, le retour au village perd de son attrait, 15 jours avant l’échéance, 60% des citadins se disaient tentés par un s éjour hors du pays, et 6 millions d’entre eux profitaient de la période pour s’évader vers les 5 continents, parfois pour des voyages à thème, du « mariage à Paris » » au « ski au Japon » ou à la « croisière en Antarctique » – chacun craquant en argent de poche 10.000¥ en moyenne. Ce chunjie en somme, expose la maturation rapide de la société. En troquant traditions millénaires, ces citadins découvrent ainsi le vrai sens des vacances et du voyage – la découverte simultanée de soi et du monde, – pour la première fois dans l’histoire du pays. 

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