Le Vent de la Chine Numéro 3

du 25 au 31 janvier 2015

Editorial : L’anticorruption à 360°

Toujours plus puissante, toujours plus présente, la campagne anticorruption se déploie désormais tous azimuts. 
En 2014, 72.000 cadres ont été punis dont 68 au rang de ministre, et 16 généraux de l’ APL limogés ou mis sous enquête. À Jinan en décembre, Wang Min Secrétaire du PCC, glosait à la TV contre la corruption, mais deux heures après, était coffré pour ce délit. Début janvier à Nankin, son homologue Yang Weize, dit « Mr. 5% », tombait. Puis le 19/01, au cœur de l’appareil, Deng Nan, propre fille de Deng Xiaoping, était limogée (19/01) de la tête de l’Association Nationale des Sciences & Techniques. En confidence fuitée pour frapper, au conclave de la CCID (police interne du PCC) les 12-14 janvier, Xi Jinping déclarait que la campagne « n’avait pas encore gagné la bataille décisive ». Puis le 19/01, le Quotidien du Peuple traduisait : un cadre « plus lourd que Zhou Yongkang » allait bientôt tomber. Quel grand personnage était visé ? La Chine se perd en conjectures, citant des noms tels Li Peng, Zeng Qinghong …

Parmi les 112 consortia publics sous tutelle de la SASAC, 53 sont visités, tels China Southern (aviation), Unicom (télécom), Dongfeng (automobile), Sinopec (pétrole). En deux ans, sur 36 d’entre eux, 21 CEO ont été interpellés. Ce secteur public serait nettoyé en prévision d’un plan encore officieux de semi-privatisation, par vente d’actifs aux investisseurs privés et institutionnels.
Sans fanfare, la campagne s’intéresse aux multinationales, par le biais de leur tutelle du Bureau de l’Industrie et du Commerce dont les limiers, à l’aube et sans préavis, viennent fouiller les QG, en quête de pièces incriminantes.
Autre pan de la société, la mafia est elle aussi traquée : 60.000 bandits viennent d’être arrêtés en 100 jours, et 11 tonnes de drogue saisies.
Les 8 mini-partis tolérés en marge de l’Etat-Parti, sentent le vent du boulet : à Canton Pan Shengshen, de l’Association pour la Construction Démocratique, est arrêté (06/01). Il est vrai que Pan avait aussi été membre du PCC et s’était retrouvé président de bien des intérêts publics et privés, telle la JV des ascenseurs Hitachi. 

Comment l’opinion réagit-elle ? D’abord enthousiaste supporter du vent de moralisation, elle commence à ressentir peur et découragement, à voir mairies et provinces progressivement amputées de tous leurs leaders. Hôtels, restaurants et magasins de luxe sont laminés. Mais aussi dans les grandes écoles, leurs programmes « MBA » perdent jusqu’à 30% de leur enrôlement, faute de pouvoir justifier l’origine de l’argent des droits d’inscription (jusqu’à 700.000¥/an).
Enfin, on voit poindre une tentative structurelle pour prévenir la corruption : suivant une circulaire du 12/01, 8 millions de cadres vont être rétroactivement augmentés (au 01/10/2014).
La grille des salaires publics, aujourd’hui de 630¥ à 7020¥, va grimper de 1.320¥ à 11.385¥, soit +62% – la plus forte hausse bénéficiant aux positions les plus faibles.
Mais ces fonctionnaires restent insatisfaits : au moment même de leur augmentation, ils devront se mettre à payer leurs 8% de charges salariales, jusqu’alors à charge de l’Etat. Ce détail, imposé pour supprimer un privilège des ronds de cuir mal vécu par le privé, va donc griller l’essentiel de leurs gains. Si tel est le cas, alors, du point de vue de la prévention de la corruption en payant mieux les cadres, l’Etat va devoir revoir sa copie!


Corées : Du rififi au matin calme

En Corée du Nord, depuis 20 ans, rien ne change en hiver : les greniers restent vides, et les poêles froids. Par milliers voire dizaines de milliers, de pauvres hères passent en Chine pour éviter la famine. Une errance impossible à stopper : la frontière de 1420km n’est que faiblement gardée.

Le 27/12, un soldat de 26 ans tenta sa chance. Franchissant les glaces de la rivière Tumen, il passa en Chine, au village de Helong (préfecture de Yanbian), zone d’ethnie coréenne. Le plus souvent, les habitants compatissants cachent la présence de ces malheureux et les nourrissent sans penser au danger possible : « ces gens finissent par retourner chez eux », affirme un témoin. Toutefois, dans le cas de notre militaire, les choses se passèrent autrement. Il était déserteur, une faute qui, en ce pays stalinien, peut coûter la vie. Il n’avait rien à perdre. Aussi, forçant les portes, il commença à voler nourriture et argent. Il tua deux couples de vieillards, l’un à coups de matraque, l’autre avec son revolver – avant d’être traqué et appréhendé. 

La suite du drame fut un secret d’Etat, mâtiné de secret de polichinelle. Souvent, le cadre du village chinois fuit les responsabilités. À la frontière coréenne en particulier, il sait bien que le régime veut soutenir ce « petit frère » de combat socialiste, qui ne survivrait pas sans lui. Le pays fondé par Kim Il-sung fait partie précieuse de sa propre histoire révolutionnaire. De la sorte, l’incident resta secret, Pékin refusant d’évoquer l’information « sensible ». Ce n’est qu’une fois le tueur mort des blessures reçues lors de son arrestation, et l’affaire éventée par la presse de Corée du Sud, que la Chine émit —sans grande conviction— des « représentations » formelles, sachant bien que Pyongyang ne pouvait pas faire grand-chose. La presse locale alors, sortant de sa réserve, se souvint que depuis 2000, 14 meurtres de ce genre avaient été déplorées dans la région. 

Depuis, les villageois, le long de la ligne de partage, s’organisent en milices, et l’Etat les laisse faire. Les rondes se succèdent chaque nuit, aux patrouilles constituées par groupes de 10 foyers. Selon un policier du district de Chanbai, c’est plus pour rassurer qu’autre chose : « le danger est exagéré, dit-il. Le plus souvent, les candidats à la fuite se font prendre par les collègues d’en face ». En fin de compte, ce drame sordide est doublement révélateur du désespoir qui règne au « pays du matin calme », et de la détérioration lente mais certaine du rapport entre Coréens du Nord et Chinois de la rue – à l’instar du climat, il est glacial.


Société : Zéro pointé pour le touriste chinois ?

Alors que le nombre de touristes chinois hors frontières explosait en 2014 (100 millions, contre 29 millions en 2004), les leaders éprouvent un soudain souci d ’image. Les incidents gênants se multiplient, tel ce vol d’Air Asia où des passagers furieux ébouillantent l’hôtesse (cf photo), ou d’autres angoissés ou ivres, ouvrent les issues de secours avant le décollage ou tentent de le faire à l’atterrissage, et autres cas de manque de savoir-vivre dans les pays-hôtes. La source de cette dérive est invariablement la même : ces touristes de la 1ère génération n’ont ni tradition de voyages d’agrément, ni vécu interculturel. 

<p>Face à ce problème, et voyant que les appels à la courtoisie ne marchent pas, au moins sur le court terme, les autorités en sont réduites à tenter d’inventer des solutions inédites. Li Jinzao, directeur de l’Administration Nationale du Tourisme, annonce pour avril un classement des touristes par points – une liste noire des mauvais voyageurs par degré de gravité. Une base de données verra ainsi le jour, à l’intention des agences de voyages, compagnies aériennes, parcs à thèmes ou stations de ski, libres de refuser leurs services à ces trublions épinglés. 

Sur la même longueur d’onde, la CAAC, tutelle de l’aviation, réfléchit à une liste similaire, d’usage plus direct : les fauteurs de troubles graves, à bord de vols commerciaux, seraient interdits de vol à l’avenir.
C’est un vaste plan, mais qui pose des questions si lourdes que sa faisabilité apparait compromise. Qui fournira les données ? Seront-elles véridiques ? Vérifiables ? Les « épinglés » pourront-ils sortir de la liste ? À quelles conditions ? Et cette liste ne risque-t-elle pas, par trop de pesanteur, de porter atteinte à l’intégrité d’êtres qui sans doute, peuvent apprendre et s’amender ? D’autres méthodes sont toutefois envisageables : plusieurs compagnies aériennes internationales, sur leurs vols notamment vers le Sud-Est asiatique, diffusent sur leurs écrans, un spot contre le tourisme sexuel. Les transporteurs chinois pourraient faire campagne via le même support, invitant au savoir-vivre ensemble. Une méthode plus simple et moins coercitive, pour aider les passagers à… apprendre à voyager !


Politique : Ma Jian, espion, passe à la trappe

La dernière fois que l’on vit en public Ma Jian, le vice-ministre de la Sécurité d’Etat – (MSE), ce fut le 7 décembre dernier à Islamabad (Pakistan), en mission de coopération occulte. Depuis, plus rien, Ma est sorti de l’écran radar. Début janvier, un lapidaire communiqué de la CCID (la police du parti) annonça sa mise en examen pour « sérieuses infractions à la discipline ». 

<p>S’agissant d’un très haut cadre et d’une affaire de sûreté de l’Etat, les données sur sa chute sont forcément très limitées. Nonobstant, le peu que l’on a est des plus instructifs. Avec 30 ans de maison, Ma avait servi Zhou Yongkang (le « tzar » de toutes les polices durant 10 ans). Il avait aussi été proche de Ling Jihua (l’ex-bras droit de Hu Jintao jusqu’en 2012). Ma était surtout jusqu’à hier, chef du « bureau n°8 », à l’écoute occulte des diplomates, hommes d’affaires et journalistes. Par ses centaines d’informateurs en Chine et en dehors, il disposait de fichiers, moyens de pression sur tout le monde. Intelligent et travailleur, Ma avait été pressenti, en des temps meilleurs, pour passer n°1 au MSE. En un mot, il était le plus solide rempart des adversaires du Président, un des rares capables de faire obstacle aux limiers de
Wang Qishan, le chef d’orchestre de la campagne anti-corruption. 

Une autre rumeur précieuse peut permettre de deviner son chef d’inculpation. En ce pays en effet, les règlements de compte politiques et accusations de fautes internes sont souvent présentées hors du Parti comme corruption. En interne, Ma semble accusé de « factionnalisme », ayant protégé des alliés. Mais la presse le soupçonne d’avoir empoché 250 millions de ¥ de Li You, CEO de Founder, conglomérat technologique de l’université Beida. Avant la chute de Ma, Founder était en plein scandale financier, accusé par son investisseur n°2 Beijing Zenith de détournements en milliards de yuans de ses fonds. Founder aurait aussi offert d’importants dessous de table à Ling Jihua.

Duowei, site d’analyse sino-américain, propose sa lecture de ces péripéties qui agitent les entrailles du Parti : « en Chine, les secrets d’Etat peuvent s’acheter contre du pouvoir, de l’argent, ou cédés par intérêt personnel…Aussi à ce stade, Xi Jinping doit reconstruire un service de sécurité fiable et sous son contrôle ». C’est ce qu’il fait, depuis novembre 2013, en créant une Commission Nationale de Sécurité. Sous ses ordres directs, avec trois autres dirigeants (Li Keqiang le 1er ministre, Wang Qishan, Zhang Deqiang, le Président du Parlement), la Commission court-circuite le MSE. Depuis 20 ans, selon Duowei, ce dernier disposait d’un pouvoir assez fort pour paralyser tout chef de l’Etat. Aussi, après la rognure de ses pouvoirs discrétionnaires, puis avec la chute de Ma Jian, ce MSE reçoit aujourd’hui un coup peut-être fatal à son influence politique.

C’est sans doute cet affaiblissement qui permet à la CCID de faire le vide autour de Ling Jihua, frappant ses alliés (qui sont par rebond, aussi ceux de Hu Jintao). Passent donc à la trappe Huo Ke, ex-chef de division au Bureau général du Comité Central (aujourd’hui patron du tourisme), et Luo Fanghua, productrice TV de 46 ans, belle-sœur de Ling Jihua. Pourtant, comme pour « renforcer la société harmonieuse » – maintenir l’équilibre politique au sommet – un autre allié de Hu Jintao, Chen Shiju est promu n°2 au Bureau de la « société spirituelle socialiste », instance sans pouvoir, mais de prestige.

C’est sur cette toile de fond de lutte de pouvoir que s’éclaire la dernière campagne de Xi Jinping. Le 29 décembre, devant le Bureau Politique, il dénonçait les 3 « gangs » du « secrétariat », du Shanxi  et du pétrole (cf Vent de la Chine n°1). Puis devant la CCID en conclave (12-14 janvier), il insistait : « sous peine d’encourir la colère d’1,3 milliard de citoyens, le PCC ne peut se permettre de perdre la bataille contre la corruption et les factions ».
Une fois évincé, Ling Jihua fut remplacé à la tête du « Front Uni » par Mme Sun Chunlan, ex-Secrétaire du Parti à Tianjin. À ce poste, elle est relayée par Huang Xingguo, compagnon de route de Xi. Loin d’être insignifiante, cette dernière nomination est fort parlante car Huang est de ce fait éligible au Politburo, tout comme Sun Chunlan, qui l’est déjà. 

En octobre 2017, lors du 19ème Congrès, 12 des 25 membres du Politburo iront à la retraite, frappés par la limite d’âge. La pension rattrapera de même 5 des 7 membres du Comité Permanent, l’organe suprême : tous vieux compagnons de Jiang Zemin et tous sélectionnés pour leur qualité de conservateurs, placés là comme « assurance anti-réforme » pour le compte du « Hong er dai » (红二代), le club exclusif des fils de la révolution, soucieux de protéger leurs monopoles et privilèges. Les seuls pressentis pour rester au Comité Permanent après 2017, Xi et Li Keqiang, attendent leur heure. Xi aura pour priorité, d’ici là, de sélectionner les futurs co-leaders de 2017, ceux qui réaliseront avec lui et Li Keqiang la réforme institutionnelle et sociétale annoncée à leur entrée en fonction en 2013.


Sécurité Alimentaire : Mention « Peut mieux faire »

Pour les jeunes Chinois anxieux de trouver un emploi, celui de superviseur de la qualité alimentaire, a le vent en poupe. C’est du moins ce que suggère, début janvier sur son site internet, l’Administration Nationale des Aliments et Médicaments (SFDA), lançant l’alarme : «  notre personnel n’est pas à la hauteur. Nous souhaitons recruter davantage d’inspecteurs, et standardiser les méthodes de formation à travers les universités et les régions ». 

En fait, avoue l’administration avec une sincérité admirable, malgré un travail de fond après 2008, suivant le terrible scandale du lait à la mélamine, « les fondations de la sécurité alimentaire et médicamenteuse restent fragiles. Les risques connus et ceux nouveaux se combinent pour créer l’incertitude ». Cet avis est une claire référence aux soucis des derniers mois et années rencontrés par des groupes tels McDonald’s, Yum!, Walmart et Carrefour en Chine. Inspecteurs et administrateurs ne parviennent pas à faire face à une chaîne d’approvisionnement fragmentée en millions de fermiers et dizaines de milliers de fournisseurs, des lois de sûreté alimentaire lacunaires et contradictoires, et des problèmes de compétence entre agences chargées de les appliquer, créant des écarts de qualité de région à région. 

Publiée le 12 janvier, l’enquête de Greenpeace fait apparaître des conclusions explosives. L’approvisionnement en légumes est insatisfaisant à Pékin, où 40% des échantillons inspectés (originaires du Hebei et du Shandong) contenaient des traces de cinq types d’insecticides, et même 16 types, sur une laitue. À Canton, où les légumes poussent sans contrôle sanitaire, des traces excessives ont été relevées par l’agence indépendante contractée par Greenpeace, sur un tiers des légumes, dépassant jusqu’à 64 fois les normes en vigueur. L’enquête dévoile aussi que depuis 2007, Pékin a augmenté de 1% son usage de ces poisons à insectes, Canton de 11%, alors que Shanghai la réduisait de 6%. 

Panier LégumesCette dernière est donc la plus en avance, en commandant dans les provinces voisines plus de 50% de ses légumes dans des bases de production pratiquant l’agriculture raisonnée. Elle a aussi créé un réseau de traçabilité permettant aux clients de retrouver l’origine de leur légume à partir du numéro de série, souvent lisible par code QR, sur téléphone portable. 

Au demeurant, le ministère de l’Agriculture, loin de rester inactif, tente de faire évoluer les mentalités paysannes par actions dans les villages, et par des projets privés de gros distributeurs comme Carrefour. Modeste, son objectif reflète les difficultés à gérer le plus gros paysannat au monde, et des situations souvent incomparables, disséminées sur un territoire immense. L’objectif se borne à viser à travers la Chine d’ici 2020 le plafonnement de l’usage des engrais (quatre fois supérieur en moyenne à l’Occident) et des pesticides (un des plus élevés au monde).

Parmi les autres récentes affaires en sécurité alimentaire : à Gao’an (Jiangxi), un abattoir clandestin a exporté pendant près de 10 ans hors de la province un total de 3,2 millions de tonnes de viande de porcs atteints de fièvre porcine – 12 personnes ont été arrêtées, et 8 inspecteurs et cadres ont été démis, accusés d’avoir fermé les yeux. A Pékin, une des 489 sandwicheries chinoises de Subway, a été accusée, le 26 décembre par la presse, d’avoir falsifié ses dates de péremption – l’enquête est en cours.
Toutefois, ces cas reflètent peut-être autant les dysfonctions du système, que la sévérité croissante des inspections et leur qualité. En 2014, AsiaInspection, compagnie française basée à Hong Kong, a réalisé 100.000 inspections, audits et tests à travers la Chine en tous secteurs. Parmi eux, 7000 concernaient l’industrie de transformation agroalimentaire. Résultat : 48% de ces entreprises n’ont pas passé le test.

Les principales raisons fournies par le groupe expert ont été un étiquetage mensonger sur les ingrédients ou les dates d’expiration, et la découverte en laboratoire de pesticides, d’antibiotiques, de métaux lourds, bactéries et virus. Mathieu Labasse, vice-Président d’AsiaInspection, ne mâche pas ses mots : « cette industrie alimentaire reste immature. Dans ce secteur, la Chine a 15 ans de retard sur d’autres secteurs tels le textile. Usines et centres de conditionnement sont moins formés, moins au courant des normes, que dans le non-alimentaire. Pour combler ce retard, il faudra l’effort combiné de tous : industriels, agences de tutelle, distributeurs et consommateurs ». Autrement dit, un programme vaste et de long terme.


Petit Peuple : Fenghua (Zhejiang) – les deux vies de Liang Jianxin (1ère partie)

Peu après sa naissance à Shanghai en 1957, Liang Jianxin se distingua vite comme un enfant surdoué. Discipliné, obéissant, sans caprices, il se montrait serviable et attentionné. C’était surtout à l’école qu’il brillait, comprenant tout, tout de suite, aidant ses camarades à faire leurs devoirs, et répondant toujours juste aux questions du maître.

Aussi 20 ans plus tard, pour le jeune Liang, la vie s’annonçait belle, au sortir d’une université pékinoise prestigieuse. Admis au Parti, dès 1980, à l’âge de 23 ans – une faveur très rare – il débuta comme secrétaire particulier d’un haut cadre du Parti. Au fil des mutations à travers le pays, il gravit rapidement les échelons, poussé par son excellente réputation et son talent pour se faire des amis et se montrer « au service du peuple ». Le hasard des promotions l’avait porté vers les services, officiant tantôt dans l’eau potable, les forêts, l’électricité ou la voirie, excellant partout. 

En 2002, il atterrit au Zhejiang, une des plus riches provinces, au poste-clé de Secrétaire du Parti du bureau de la Santé de Fenghua, une conurbation de 3 millions d’âmes. Son emploi consistait à moderniser les hôpitaux et dispensaires, et faire appliquer les directives de prévention des maladies infectieuses. Hélas pour lui, c’est là que le rattrapa le vieux piège auquel tant de cadres succombent en Chine, le lampadaire incandescent où tous ces insectes viennent se griller les ailes dans l’obscurité de la nuit.

À 45 ans, Liang avait atteint son pic de prospérité. Son rang lui donnait droit, à lui et à sa famille, à une villa de sept pièces entourée d’un petit parc. Son chauffeur le conduisait partout, ainsi que son épouse, en son Audi de fonction – l’essence était gratuite, comme les péages. Mais hanté par le « syndrome de la retraite », il savait bien que tout cela disparaîtrait, 15 ans plus tard. Ce jour là, au 12ème coup de minuit, son carrosse redeviendrait citrouille. Alors, adieu villa, chauffeur, et belle vie : il vivrait de sa maigre pension, sans nul avantage en nature désormais, à moins de prendre les choses en main —il était temps d’y penser. 

Pour rénover ou construire de nouveaux hôpitaux, c’était lui seul qui choisissait les entreprises, subdivisait les chantiers et allouait les lots—contre des dessous-de-table. De la sorte, il brassait chaque année des dizaines de millions de yuans, dont une belle tranche lui revenait –un pactole, à la fin du jour. Il en allait de même pour l’octroi des patentes et licences de conformité d’hygiène, qu’il distribuait sans barguigner à toutes sortes de firmes, des industries alimentaires aux hôtels et chaînes de restauration – moyennant certes un « juste retour ». 

Bien sûr, tout cela n’était pas exactement licite, mais vu la prospérité qui déferlait sur le pays et l’amélioration constante de la santé publique, fruit de ses efforts, qui s’en souciait ? Ces petits cachets gris étaient amplement justifiables, non ? De toute manière, tout le monde, dans ce milieu des ronds-de-cuir, faisait de même : à prétendre jouer les « Monsieur Propre », Liang se serait mis tous ses collègues à dos, compromettant ainsi sa carrière ! 

Le seul détail auquel le jeune haut fonctionnaire n’avait pas songé, était que depuis des années, il avait négligé de continuer à faire sa cour à son protecteur, à Pékin. De l’appeler, lui envoyer ses vœux, voire un joli cadeau à chaque fête du Chunjie (printemps lunaire). Roitelet à Fenghua, il partageait avec d’autres privilégiés le pouvoir sur cette grasse prébende, et il en négligeait le reste. 

Mais c’était oublier la différence, en cette vaste jungle administrative, entre les enfants de la balle montés par leur talent, et les fils de la haute, protégés par l’aristocratie du régime, et oublier aussi que si l’on néglige son parrain politique, celui-ci risque d’en faire autant. Un jour d’avril 2008, des ordres tombèrent de la capitale, sur Fenghua comme sur tous les autres districts, une tête devait tomber, un cadre corrompu d’un certain niveau pour effrayer les autres, « tuer le poulet pour faire peur aux singes » (杀鸡给猴看, shā jī gěi hóu kàn). 

Liang était le moins protégé : c’est lui qu’on alla attraper. Ses supérieurs étaient désolés, mais c’était le jeu, et ils devaient se protéger. Ils ne lui imputèrent que 140.000 yuans mal acquis – une infime fraction de ce qu’il avait empoché – mais cela suffit pour lui faire écoper de 8 ans de prison . 

Sa carrière était brisée, pour avoir oublié la règle essentielle qui compte en ce pays : l’influence de qui vous protège ! Et pourtant, pénétrant dans sa cellule avec son ceinturon, sa couverture et un maigre balluchon, il sentait déjà que d’une façon ou d’une autre, sa vie ne s’arrêterait pas là…

Pour connaître la suite des aventures de Liang Jianxin, rendez-vous au prochain numéro !


Rendez-vous : Du 26 janvier au 1er février
Du 26 janvier au 1er février

29-31 janvier : Visite du 1er ministre français Manuel Valls, à Tianjin, Pékin et Shanghai

2-3 février, Shanghai : China Green Texile Summit (Sommet du textile écologique) et Forum sino asiatique des textiles

3-5 février, Shanghai : SPINEXPO, Salon international des fibres, fils, tricots et tissus à maille