Le Vent de la Chine Numéro 34
Le Président Chirac partait (18/10) pour une mission à train d’enfer : trois sommets en cinq jours, celui de l’ASEM ou Asia Europe Economic Meeting, (coopération Europe – Asie) à Séoul les 19-20, le sommet « privé » avec Jiang Zemin (21-22) et celui Union Européenne – Chine à Pékin (23-24).
Douze mois après la visite du Président chinois chez J. Chirac au château de Bity, le chef d’Etat français lui rend la politesse, en séjournant un week-end (21-22 octobre) dans sa ville natale, Yangzhou – prospère métropole du Jiangsu, chargée d’histoire -visitée au 13ième siècle par Marco Polo, et comptant parmi ses sites glorieux, le Grand Canal.
Cette mission venait à point pour restaurer des relations tendues après la vente à Taiwan par Matra d’un satellite Rocsat2 d’observation civile, dans lequel la Chine persiste à voir un outil militaire. Pékin a exprimé sa colère, suite à la confirmation mi-juillet à Pékin par le ministre Hubert Védrine, du feu vert de Paris à ce contrat. Deux missions d’experts militaires français, pour tenter de prouver son aspect « inoffensif », n’ont fait qu’envenimer les choses. Du coup, la visite de Chirac ne dure que trois jours – très courte – et est classée « officielle » et non « d’Etat« .
Sur une bonne part de ces entretiens, un voile opaque a été maintenu. Jiang et Chirac avaient fait savoir qu’ils « s’efforceraient de faire en sorte que la question du satellite… ne soit pas un problème »…
Par contre, Jacques Chirac a créé la surprise, en relançant la question des droits de l’homme pour prier la Chine de ratifier deux pactes de l’0NU signés depuis trois ans, en parlant du Tibet (de libertés civiles et religieuses), en soumettant à Jiang une liste de prisonniers, et en réclamant l’amélioration des rapports entre Chine et Vatican. Pour faire passer ces critiques, Chirac n’avait qu’un argument, mais de taille : il avait dit, dès Séoul, que l’adhésion de la Chine à l’OMC « était un problème réglé »!
Cette remontée en puissance du thème «droits de l’homme» peut signifier deux choses. La prise de conscience du fait qu’un approfondissement entre Europe et Chine n’est possible que suite à une reprise effective de la réforme politique. Et le fait que le dossier « satellite » touche directement à la souveraineté française. En jouant sur cette corde, Chirac peut émettre la suggestion subtile, de passer à autre chose!
Avec ses 25 chefs d’Etats à Séoul, le 3ème sommet de l’ASEM était le plus grand forum international, jamais vu en Corée. Pas moins de 72 rencontres bilatérales s’y tenaient, notamment autour de l’hôte Kim Dae-jung, fier de son prix Nobel de la paix décerné quelques jours avant.
Pourtant, le dialogue avait du mal à trouver ses marques. L’Asie de l’Est, sortant juste de trois ans de récession, est divisée par ses systèmes politiques et religieux, tandis que les européens se préoccupaient de la faiblesse de leur Euro ( ² ), et de leur projet d’élargissement à l’Est, de 15 à 28 Etats-membres.
Dans ces conditions, le "coup" médiatique lancé par Pyongyang tombait au bon moment : sa demande d’établissement de liens diplomatiques avec l’Union Européenne était immédiatement reçue par Tony Blair et G. Schroeder, s’ajoutant aux 6 pays d’Europe ayant accepté en principe. Les 25 membres de l’ASEM convenaient d’encourager les retrouvailles orchestrées depuis juin entre les deux Corée. Ils adressaient aussi un message discret aux Etats producteurs de pétrole, de préoccupation face aux risques liés au cours excessif de l’or noir.
A noter en marge de l’ASEM, la série d’accords militaire, judiciaire, culturel et commerciaux entre Zhu Rongji et Kim Dae-jung : 128 vols commerciaux à partir de mars, ouverture du marché agricole coréen (pour réduire le surplus coréen de près de 10MM$), de la téléphonie et des assurances chinoises (une licence promise) : le spectre d’une guerre commerciale entre ces deux voisins, s’évanouit.
· D’ici 2005, les recettes d’assurances, en Chine, doubleront à 33,5MM$.
Mais l’essentiel du marché reste aux mains de groupes chinois, mis à part quelques privilégiés, tel le britannique Prudential qui lançait à Canton (13/10) sa JV d’assurance-vie avec CITIC (50/50, 24M$).
En attendant les licences promises pour l’OMC, d’autres groupes prennent leur mal en patience: l’anglais CGNU étoffe à 47M$ son fonds de Parts "B", et prend avec l’organisme britannique CDC 0,2% du capital (pour 10M$) du groupe pétrolier CNOOC. New York Life, pour sa part, vante son projet d’investissement d’infrastructures à l’Ouest, pour 60M$ : "c’est le max. que lui permette la loi US… Avec une licence, NYL pourrait faire beaucoup plus!"
· 1er groupe pharmaceutique français venu en Chine, dès 1979, Servier y détient 15% des traitements du diabète et de la neurologie – 26M$ de ventes attendues en 2000, dans 10 médicaments produits sous licence à Tianjin par Huajin. Servier amplifie cette coopération par une JV de 13M$, d’une capacité de 36M de boîtes/an, dont il attend un quasi triplement de son chiffre chinois d’ici cinq ans, à 64M$, entrant dans la "botte" des dix leaders nationaux. Servier prépare aussi l’implantation à Pékin de son centre de recherches.
Ce dynamisme, le groupe le doit à sa structure familiale: non coté en bourse, il peut consacrer 25% de son chiffre d’affaires à la recherche (soit 330M$) -contre 12% en moyenne mondiale.
· En principe intangible jusqu’en 2001, le moratoire d’achats de nouveaux avions donne des signes d’usure: le 16/10, Liu Jianfeng, Président de la CAAC, a signé pour le compte de Hainan Airlines un contrat de 290M$ pour cinq Boeing 737 /800, portant sa flotte à 37 appareils.
Dans sa liste d’emplettes pour 2001, Hainan Airlines prévoit encore 19 Dornier 328 et la reprise de 26,5% de Changan Airlines, moyennant 24M$: autant d’efforts qui feront du groupe, détenu à 15% par George Soros, le n°1 national du trafic de navettes.
Caijing, mensuel boursier de référence, a choqué en dénonçant, sur la foi d’un rapport interne de la Bourse de Shanghai, 10 EE de fonds mutuels, détentrices de 9,3MM$ d’actions (11% du marché).
Entre août 1999 et avril 2000, ces groupes auraient manipulé 140 titres, jouant sur les cours pour flouer les petits porteurs. La méthode de transaction décrite par Caijing peut surprendre : les courtiers se rencontraient dans les bains publics, sans possibilité d’écriture. Les commissions étaient au comptant, sans signature.
Caijing a accusé ces fonds de desservir leur objectif (de stabilisation de la bourse), et de collusion avec leur sponsor -banques, ministères, organes proches du Parti. Ces derniers ont contre-attaqué, menaçant de poursuites.
Le 10 oct. la HITIC, Cie d’investissement de Hainan, était mise en faillite pour défaut de paiement sur un emprunt nippon de 235M$. Zhu Rongji a promis d’agir en faveur des porteurs japonais – mais les Chinois auront priorité.
A 24 heures d’intervalle, les 17-18 octobre, un porte parole du min. des Finances déclarait d’abord que le déficit public pour 2000, serait dans les limites prescrites de 27,7MM$ (contre 21,65 en 1999), puis que ce budget aurait un surplus de 1,3 MM$ -pour la 1ère fois depuis 1985, grâce à une collecte d’impôts en hausse de 21%. Cette information est encourageante -signe de la bonne tenue de l’économie cette année- mais met l’accent sur l’aspect aléatoire des bilans publics.
Zhou Xiaochuan, Président de la CSRC le relevait aussi, en appelant à plus de transparence dans la publication des données financières, afin de "protéger le petit investisseur", à quelques mois du lancement du marché secondaire boursier.
Précisément, dès mars 2001, toute firme déficitaire cotée en Bourse, aura l’obligation de publier son bilan chaque trimestre et non plus chaque semestre. Bilan non audité (afin de ne pas grever les coûts comptables), mais dont la périodicité rendra plus difficile la manipulation : on va dans le bon sens!
· Depuis 1999, les annuités universitaires ont doublé, à un niveau de 4500 à 6000Y –bien plus que le revenu moyen de 5856Y/an en ville (2210Y au village). Pour assumer cette charge, les parents ont trois options: le compte épargne-éducation (ouvert par 43%), l’assurance (29%) et l’emprunt-études, accessible depuis 1999 aux familles modestes (15% des 3M d’étudiants chinois, à travers 1050 universités).
En 1999, les banques ABC, CCB, ICBC avaient prêté 723.000$. Cette année, ces prêts à 35.000 étudiants ont atteint 23M$.
· Les pros de la Pub voient pour 2001 un doublement du chiffre d’affaires du secteur à 12,1MM$: la Chine sera 4ème mondiale derrière USA, Japon et RFA. 18% du total est concentré à Shanghai. Les plus grands "consommateurs" ne sont pas les firmes étrangères, mais celles publiques, qui paient huit fois plus pour leur image -souvent à créer de toute pièces, contrairement aux étrangères. La publicité chinoise, en revanche, est largement sous contrôle étranger: sept des dix majors sont des JV.
·Le coût des calamités de l’été est désormais connu: 35Mt de grains perdus, sous l’effet de sécheresse, crues et sauterelles. D’autres phénomènes interviennent dans le recul de la production céréalière, ayant causé en 2000 une baisse des plantations de 5 à 10%:
¬ la chute des prix, suivant celle des subventions. Face aux nouveaux critères de qualité depuis avril, la plupart du grain n’a pas obtenu le prix garanti et s’est vendu à perte, (blé = 1Y/kg).
Les programmes de reboisement (depuis ‘2000) ont aussi joué. Résultat: la récolte annuelle a atteint "490Mt", 18Mt de moins qu’en ’99. Mais selon nos sources, le déficit réel serait de 30Mt, et les stocks seraient moins élevés que ne l’affirme l’administration : la Chine va importer, au moins 10Mt.
Du fait de la faiblesse de l’², la commande reviendra à l’Europe, surtout à la France, dont un crédit export remboursable sur 6 ans, reste disponible.
· Souvent laboratoire des réformes du pays, Shanghai annonçait dès mars (cf VdlC n°7/V) la suppression de la ségrégation foncière, entre lieux "pour étrangers" et "pour chinois".
En fait, cette mesure s’intègre dans un plan du Ministère de la Construction pour fusionner les deux marchés au plan national, dès l’entrée à l’OMC. L’émergence d’une bourgeoisie au pouvoir d’achat égal à celui des expatriés, rend le cloisonnement inutile. L’uniformisation des plans de secteur amènera un urbanisme plus cohérent, une meilleure valorisation immobilière, et la standardisation de la qualité des logements et bureaux.
NB: de janvier à juin, les investissements immobiliers ont augmenté de 24,3%, les ventes de 43%, et les profits de 49%.
· Du 12 au 16/10, l’armée chinoise (APL), engageant 10.000 hommes a effectué ses plus lourds exercices interarmes depuis 1964, entre Pékin, Mongolie, Mer de Bohai et Nord-Ouest.
Coup sur coup (16/10) paraissait un nouveau « Livre Blanc de la Défense« , qui réitérait la menace de « mesures radicales » envers Taiwan si celle-ci continuait à reporter « aux calendes grecques » le dialogue de réunification.
Quoique ces deux mesures, selon les spécialistes, ne traduise aucun changement d’attitude -Pékin, selon eux, gagnerait du temps- le retour de la pression démoralise Taiwan, déconcerté par l’absence de message de son nouveau Président Chen Shui-bian.
Depuis 12 mois, la bourse de Taipei a chuté de 27%, et 18% des taiwanais, surtout jeunes et diplômés, parlent d’émigrer. Critiqué dans son propre camp comme à Pékin pour son langage abscons et sa pusillanimité, il est grand temps pour Chen d’énoncer ses intentions: on ne peut plaire à tout le monde, tout le temps.
· Les douanes de HK ont détecté (18/10), dans un container en partance pour la Californie, 26 « clandestins » du Fujian entre 16 et 36 ans. Ils auraient dû payer, à l’arrivée, 50.000$ par tête.
Il s’agit de la plus grosse prise du genre depuis la découverte à Douvres le 19/06 de 56 migrants asphyxiés dans un semi-remorque: après quatre mois d’hibernation, les filières des shetou (« têtes de serpent », passeurs) sont de nouveau actives.
Zhu Rongji vient de rappeler, lors d’un Forum sur Eau et Développement urbain (10-11/10), "l’urgence de trouver des solutions".
A présent, le Chinois ne dispose que de 2220m3 d’eau/an (3/10 de la moyenne du monde), et seulement de 988m3 dans le nord et 150 m3 à Tianjin. La désertification touche 20% du sol (40% est érodé). Abondante dans l’Est du pays, l’eau y est inutilisable car polluée.
Des villes comme Xi’an s’affaissent sur 55km², suite au pompage phréatique frénétique. D’ici 50 ans, avec 60% de la population en ville (900M), l’homme n’aura que 1000 m3 d’eau/an, limite du viable.
Gaspilleur n°1: l’agriculture (80% de la consommation, dont 33% inutile), mais aussi industries et villes, avec des taux de recyclage quasi-nuls.
Les solutions sont toutes douloureuses: enchérir l’eau (1Y/m3) – au risque de troubles sociaux, reboiser – en cours depuis ‘2000, mais les provinces refusent les investissements à leur charge. Zhu vient de lancer le projet pharaonique de détournement d’une part du Yangtzé vers le Fleuve Jaune, suivant trois tracés distants de milliers de km, d’un coût dépassant 10MM$. Le ton est donné: avant toute chose, "prévenir tout dérapage écologique".
Dans ses projets, la Chine souffre de problèmes de planification – un comble, pour un Etat socialiste . Ainsi l’orgueil du Henan, le barrage de Xiaolangdi (4MM$, dt 1 prêté par la Banque Mondiale), devait prévenir les crues du Fleuve Jaune et produire 18MKw/h d’électricité (20% de la consommation de la province).
Mais cet été, les crues étaient au RV, puis il a fallu vider le bassin pour pallier l’assèchement du cours, et quand la houille blanche a fini par arriver, elle ne trouva pas preneur : trop chère, et le marché était déjà pris. Ses managers découvrirent alors -mais un peu tard- que "maîtrise des crues" et "génération électrique" pouvaient être incompatibles. Comme quoi en matière de maîtrise de l’eau, l’expérience demeure un facteur irremplaçable.
· Temple chinois de la mode, Shanghai est le ring d’un fort nombre de marques de lingerie, en lutte effrénée pour la conquête d’un nombre (fini) de corps féminins.
Afin de prendre l’avantage pour ses combinaisons "Thermiques Amincissantes Si Bémol Mineur", Yizhiban, JV sino-japonaise, avait offert un ensemble d’une valeur de 99Y aux 800 premières lectrices se présentant le 14/10 au magasin "Grand Gateway", munies de ses annonces dans trois journaux locaux. Précoces, les premières arrivèrent la veille au soir, d’aussi loin que Suzhou ou Fengxian, bravant la pluie et les heures de bus. A 10 heures du matin à l’ouverture, enrhumées mais déterminées, elles étaient mille à se ruer, causant l’émeute au rayon "dessous".
S’ensuivirent deux heures d’anarchie toujours plus folle -pieds écrasés, ongles cassés, cheveux arrachés, talons hauts perdus, sacs, porte-monnaie, GSM volés… A midi la police intervint pour interdire la promotion: détestable idée ! A ce stade, par milliers d’énervées, les femmes continuaient à affluer. Tentant de protéger le magasin contre les furies, les vigiles débordés durent en venir aux mains …
Dans le silence succédant à la bataille, "nous n’attendions pas tant de gens" résuma un manager stoïque. Pour leur compte, la moitié des shanghaïennes exige des excuses et jure de ne jamais porter ni gaine ni culotte "Si Bémol Mineur" -l’autre moitié en rit encore.
· Pour nourrir ses deux cochons, Sun Fulai, non loin de Tianjin, avait trouvé une solution des plus avantageuses: l’usine alimentaire à deux pas de sa ferme, rejetait par sacs entiers des farines n’ayant pas passé les contrôles de qualité.
Trois mois plus tard cependant, ses gorets n’avaient pas engraissé d’un poil – ils lui semblaient même un rien faméliques. Consulté, le vétérinaire complimenta Sun sur la forme de ses bêtes, mais ne put que lui confirmer la perte de cinq à six kilos chacun…
C’est à l’usine, qu’un contremaître hilare lui donna la clef de l’énigme: destiné à l’export vers l’Europe et le Japon, le gruau de fibres dont il nourrissait ses porcs, servait de cure contre l’obésité. Maudissant sa guigne, Sun, pour ses verrats, a changé de régime.
· 24-28 oct. Pékin: Salon Industrie de l’Information et Télécoms