Petit Peuple : Guandu (Yunnan) – l’argent perdu de grand-mère Xu (2ème partie)

Résumé de la 1ère Partie : En 1953, Xu Zhanhua, paysanne yunnanaise de 24 ans, plaçait à la Banque Populaire ses 5 douzaines de taëls hérités de l’ancien régime. En échange, on lui donna un certificat d’une valeur de 50.000 yuans. Deux ans plus tard, dans la nuit, le yuan était dévalué de 10.000 contre un : le patrimoine de Xu avait fondu à 5 yuans ! Pourtant, loin de perdre sa foi en la Révolution, Xu gardait ardeur et espoir…

26 années passèrent…Xu Zhanhua, au village, fut témoin de différentes phases d’histoire révolutionnaire. Mariée, bientôt mère, elle vit passer toutes les campagnes, du Grand Bond en avant, de la campagne des Cent Fleurs, de l’éradication des oiseaux et des vermines, des Quatre Vieilleries… 

Durant ces temps de peur et de famine, Xu trimait dur, nourrissait ses enfants et se gardait de ne rien demander. Quiconque attirait l’attention sur soi, parlait d’argent, ou pire, osait en réclamer aux autorités, risquait gros…

Pour autant, elle conservait caché son précieux trésor : le titre imprimé avec son tampon rouge, libellé à son nom. Le jour venu, elle n’en doutait pas, il serait son sésame pour récupérer son argent.

Sagement, elle attendit 1977, l’avènement d’une ère plus propice (Deng Xiaoping pointait à l’horizon), pour retourner à la banque réclamer son dû. Mais à Guandu, là où 24 ans plus tôt, elle avait déposé l’argent, l’attendait sa seconde mauvaise surprise depuis la dévaluation de 1955 : l’édifice était toujours là, juste un peu plus décrépi, mais l’agence avait fermé depuis belle lurette ! Xu se précipita alors à la grande agence provinciale, à Kunming, rue Weiyuan. 

Là, les sous-fifres la firent poireauter quelques heures : le temps d’émettre un nouveau titre à cinq yuans, percevable auprès d’une quelconque des banques commerciales de la ville. Patiemment, le cadre gominé lui expliqua que depuis 10 ans, la Banque populaire, promue au rôle exclusif de Banque centrale, ne perdait plus son temps avec des comptes privés. Qu’elle aille donc à l’une de ces nouvelles unités. 

Sans faute, on lui rendrait ses cinq unités de monnaie du peuple, gentiment alourdies de 6% par an d’intérêts à compter du jour de la dévaluation. 

Zhanhua retourna au village—sans plus sourire, désormais. A 48 ans, sa sciatique lui faisait mal, et elle n’avait plus toute la vie devant elle, à attendre que les financiers du socialisme sortent de leur erreur et cessent de se comporter en vulgaires capitalistes. 

Dès lors, une fois l’an, elle s’en allait en ville réclamer ses 50.000 yuans auprès de l’une ou l’autre de ces agences. Peu importait laquelle, toutes étaient au gouvernement. Partout bien sûr, elle recevait la même fin de non-recevoir –proférée sur un ton ennuyé par un employé indifférent. 

A 86 ans, pourquoi se décida-t-elle de mettre un terme à cette attente d’une vie, ce 20 août 2015 ? 

Peut-être simplement, se sachant au bout du rouleau, sentait-elle que le moment était venu… 

Elle se rendit à la banque, rue Weiyuan, et brandit au comptoir son pathétique carré de carton déchiré et décoloré par 62 ans d’existence. 

Dépassé, le guichetier l’envoya au jeune directeur qui, après une heure de bruyants palabres, proposa « par pure charité » d’ajouter 50 yuans, aux 5 yuans du certificat et 20 yuans d’intérêts encourus. 

Alors, sans plus dire un mot, grand-mère Xu tourna les talons, plantant là le gommeux, abandonnant ses papiers sur place. Sa fureur lui faisait tout voir rouge-rouge comme le tampon du certificat. Depuis 1953, ce cercle écarlate en bas de page signifiait la promesse d’une administration au service du peuple. À présent, aux yeux de la vieille Xu, il était devenu le rouge de la trahison.

Dehors, d’un parterre de fleurs, elle prit un bout de brique, puis sans regard pour les 50 curieux qui s’agglutinaient, pour les inévitables donneurs de conseils, elle revint à la porte en verre et la brisa avec une énergie inattendue, faisant voler un million de grêlons. Puis elle s’assit à terre en grommelant. 

C’est là que la retrouva la patrouille de police, sur place en un temps record, et sur le champ bien embarrassée, constatant l’âge de la délinquante et son profil bien atypique de fauteuse de trouble sur la voie publique. 

Le trouble augmenta encore quand elle réalisa que Grand-mère Xu, restée à terre, refusait de se relever et de coopérer, se retranchant dans sa muraille de silence. Aux limiers de la société harmonieuse, il fallut plus d’une heure, par contact radio avec le fichier central, pour retrouver sa fille, et la faire venir pour ramener sa mère au village.

La fin de notre histoire est aussi insolite que son début : la mésaventure de Grand-Mère Xu lui a valu une notoriété dans sa rue, au village, et dans tout le pays, réverbérée via internet. Confusément, les gens admirent son énergie vitale, à continuer à réclamer justice à 86 ans, pour un tort commis six décennies en arrière, et son courage de se battre seule, jusqu’au bout, contre les autorités (孤军奋战 gūjūn fènzhàn) !

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