Petit Peuple : Hengyang (Hunan) – le piège de la belle (2ème partie)

Résumé de la 1ère partie : Plaquée par son amant, cadre du Parti, Wu Yuping, cocotte de province, se venge de son ex, en filmant ses ébats nocturnes avec une autre fille, pour le faire chanter anonymement. Docile, l’homme envoie sans protester les 100.000¥ exigés. Enhardie par ce succès, Yuping ne va pas s’arrêter en si bon chemin ! 

Investissant les fonds récoltés, Wu Yuping n’avait pas tardé à étoffer sa petite bande à Hengyang (Hunan), pour en faire une agence délictueuse, structurée à l’américaine. Au faîte de son pouvoir, elle comptait pas moins de 12 membres, femmes pour la plupart, avec division du travail et grades auxquels correspondaient une quote-part des profits engrangés.

L’une hantait les bordels de Hengyang pour y trouver les filles –suivant les critères de beauté connus chez leur future proie. 

L’autre choisissait les hôtels, les réservait et payait. Un technicien venait y planquer les caméras, récupérait le film, le montait et le gravait sur CD. 

Une acolyte rédigeait les messages, les envoyait avec le disque -chaque fois depuis une ville, un bureau de poste différent. Sous peine de voir le CD arriver chez l’épouse, chez son chef et au bureau local de la CCID (la police du Parti), la victime du chantage n’avait pas d’autre choix que de verser, sous 48h, une somme astronomique sur un compte bancaire. 

Géré par Wu Yuping, le compte était bien réel, mais inscrit sous un nom fictif. Wu assurait aussi le suivi des versements, quitte à relancer les (rares) mauvais payeurs, en réitérant la menace de scandale public. 

A la tête d’un large réseau d’informateurs, Yuping identifiait les prochains « pigeons », hommes mûrs à la tête de bureaux publics. Ils étaient contactés par e-mail, ou directement par la jeune femme qui lui était choisie comme amante et qui se retrouvait un jour, comme par hasard, sur son chemin.

En 2012, une alerte faillit casser l’ingénieuse arnaque. Suite à l’arrestation inopinée d’une prostituée, trois cadres furent identifiés avec leurs éphémères compagnes, et le trafic d’extorsion fut révélé. Lors des interrogatoires, il apparut que ces cas n’étaient que le sommet de l’iceberg : pas moins de 15 autres chantages avaient été repérés. 

Mais la réaction des pouvoirs locaux rassura les bandits. Visionnant les films saisis, reconnaissant les dignitaires impliqués, les autorités terrorisées étouffèrent l’affaire. L’enquête s’enlisa, les hauts fonctionnaires s’en tirèrent alors avec un miséricordieux « blâme avec sursis », et les filles et leur souteneur invités à détruire l’enregistrement, avant d’être simplement remis en liberté. 

Dès lors, il fut clair pour les bandits qu’ils avaient les coudées franches : en quatre ans, 40 autres responsables et édiles publics furent poussés à la faute par la même méthode. 

Le mode opératoire s’affina alors : les demoiselles de petite vertu apprirent à faire répéter à ces hommes de rencontre certaines paroles salaces et gros mots. La caméra enregistrait tout ! S’ajoutant aux images de chair, ce langage graveleux aggraverait la faute aux yeux d’un juge potentiel et ainsi, optimiserait le profit, la rançon du malheureux cadre pris dans les mailles du filet. 

A mesure que les bandits gagnaient en audace, leur recette s’alourdissait, exponentielle : 428.000 yuans en 2010, deux millions en 2013, jusqu’au coup de filet final, 22 millions extorqués à 55 victimes à travers dix provinces, soit 45.000 yuans par tête en moyenne. Au tableau de chasse, on compte deux vice-Présidents de Commissions Consultatives Municipales. Et rien que dans une seule ville, Leiyang, on recensa une longue brochette de cadres attrapés. Parmi eux, les directeurs des parcs et forêts, du tourisme, de la Commission « réforme et développement », jusqu’au Secrétaire du Parti en personne… 

L’histoire reste discrète sur les circonstances sur lesquelles la bande fut mise hors d’état de nuire fin 2014—peut-être par une erreur dans le choix d’une cible, ou par infiltration de la bande par un espion.
Cette escroquerie à grande échelle contre des cadres en rappelle étrangement une autre, aussi relatée dans nos colonnes Petit Peuple : celle de la bande de cambrioleurs de Zhumadian (Henan), spécialisée dans les biens des Secrétaires du Parti.

Dans les deux cas, les cibles étaient les mêmes, et la terreur du châtiment, pour un crime contre la caste protégée, s’estompait face à la certitude de forts profits et de ne pas « revenir les mains vides de la montagne au trésor » (宝山空回). 

Les deux bandes s’identifiaient aussi clairement comme des « Robin des bois », prêts à reprendre au cadre des fortunes accumulées sur le dos du peuple – le cadre étant ressenti comme intrinsèquement cupide et abusif. 

La principale différence entre les deux affaires est liée au genre de chaque bande, masculin et féminin respectivement. Les monte-en-l’air étaient des hommes et les maîtres chanteuses, des femmes. La gente masculine a choisi la manière forte, et la féminine, la manière indirecte, plus subtile.

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
17 de Votes
Ecrire un commentaire