Cette étrange nouvelle nous vient droit de Canton : depuis trois ans, une chaîne de salons de coiffure prélève 10% du salaire des employés (célibataires) et 5% (mariés), pour l’envoyer chaque mois à leurs parents à la campagne.
Tel qu’expliqué par un des cadres de la firme, c’est pour inciter à la piété filiale ces figaros néophytes, et garantir aux auteurs de leurs jours un minimum vital. Les candidats sont d’ailleurs prévenus d’emblée : s’ils ne sont pas d’accord avec cette mesure intrusive, ils peuvent tout simplement aller chercher du boulot ailleurs!
En ce pays à fort exode rural, le problème de la piété filiale est réel : pour des jeunes à peine sortis du village, la liberté d’un salaire, des amis et des distractions de la ville, peuvent faire oublier le sort de parents âgés sans pension.
La tendance est si aigüe qu’en 20 ans, pas moins de deux lois ont été votées : l’une de 1996, spécifiant la responsabilité économique des jeunes adultes envers leurs parents sans ressources ; l’autre de 2013, imposant à ces jeunes des visites régulières. Mais en pratique, de tels textes pavés de bonnes intentions sont impossibles à imposer. D’où l’initiative de cette entreprise, qui assène en sus à ses coiffeurs des séminaires réguliers sur leurs devoirs familiaux…
Cette mesure RH nous en rappelle une autre, où une société de Chongqing encourageait les relations sentimentales de ses ingénieurs en remboursant leurs notes de frais (diner, fleurs…).
Dans les deux cas, la direction empiète résolument sur l’intimité des salariés, réorientant leurs choix de vie.
Ces deux cas sont représentatifs de jeunes compagnies (comme des millions de PME chinoises), créées à une époque postrévolutionnaire. Dépourvues de tradition d’entreprise, elles ont par contre une culture familiale confucéenne et autoritaire. Avec un tel viatique, elles s’attèlent avec volontarisme aux problèmes relationnels de leur personnel à peine sorti de l’adolescence.
Et ce faisant, elles créent sous nos yeux, sans états d’âme, une culture d’entreprise très différente de celles qu’on pourrait trouver en Occident.
Sommaire N° 34 (XX)