Depuis des décennies, la Chine n’avait plus vécu une telle crise ! Les ultimes chiffres de conjoncture ne peuvent plus le cacher : le moteur cale.
En août, l’indice des directeurs d’achats (PMI) du secteur manufacturier, atteint son plancher en 6 ans à 47,3 (un indice en dessous de 50 traduit un carnet de commandes en récession), et l’indice d’emploi à 46,6, révèle que les usines débauchent. Même les services, jusqu’alors épargnés, frisent la récession, avec un indice de 51,5.
En 18 mois d’achats de titres à crédit, les dizaines de millions de joueurs en bourse ont entassé 5000 milliards de ¥ d’emprunt : depuis juin, ces placements spéculatifs les prennent au piège, en perdant massivement, sans chance de revendre. Et ce n’est pas fini : selon un analyste, la place de Shanghai devra encore « dégraisser » de 35%, à 2000 points, pour revenir à un cours réaliste et attirer de nouveau les acheteurs.
Les banques voient fleurir les prêts faillis. Banque de Chine, CCB, ICBC avouent des pertes de + 0,4% en quelques mois, à « 1,4% » de leur encours. Mais l’économiste Patrick Chovanec évalue le vrai chiffre à « plus de 20% » : on est loin du compte !
Pour permettre aux groupes de faire face, l’Etat réduit les taux d’intérêts et celui des réserves bancaires obligatoires. Mais pour les banquiers, le remède est inadapté : la dernière chose dont ont besoin ces firmes, est d’alourdir leurs dettes !
La seconde mesure convainc moins encore : l’arrestation du journaliste Wang Xiaolu, du magazine Caijing, pour « rumeurs malicieuses », ce dont il se « repent » ensuite à la télévision. Mais Wang n’avait fait qu’annoncer un désir de l’Etat de retirer son soutien à la bourse—ce qui s’est réalisé depuis.
De même, près de 200 (voire bien plus) opérateurs sont inquiétés, telle Li Yifei, présidente du fonds Man Group Plc, pour manipulation et ventes sauvages de parts.
L’administration semble donc sur les dents, en peine de trouver la parade. On la comprend : la banque ANZ s’attend à un PIB à 6,5% pour le 3ème trimestre, risquant de faire rater l’objectif annuel de 7%, ce qui serait une première dans l’histoire du régime.
La campagne anticorruption prend un tour insolite : CITIC Securities voit plusieurs de ses patrons arrêtés par sa tutelle CSRC. Mais la CSRC est à son tour traquée par la Commission Centrale d’Inspection de Discipline (CCID) : le chef CCID au sein de la CSRC, Wang Huimin, visitait semaine passée les sections CSRC du Fujian, du Jilin, du Shaanxi et du Sichuan. C’est le serpent qui se mord la queue, étouffant toute confiance et toute velléité d’initiative chez les cadres.
Pour autant, stabilité oblige, il s’avère impossible de faire risquer le dépôt de bilan à ces provinces. Lou Jiwei, ministre des Finances, admettait en avril à l’université Tsinghua que les dettes provinciales avaient fusé de 36% en deux ans, à 15 000 milliards de ¥, par le seul jeu des taux d’intérêts.
Aussi l’Etat à contrecœur, continue à rogner les taux des dettes provinciales par émission de bons publics, pour 2000 milliards de ¥ d’ici décembre. Les banques rechignent devant le taux bas, mais achètent tout de même, vu qu’ils sont garantis. Ce faisant, le Conseil d’Etat impose un plafond (600 milliards de ¥) aux emprunts frais dans l’année. C’est également une première…
Le présent est donc sombre. Des mots d’ordre de récession apparaissent : « travailler plus, consommer moins, pour être le dernier à être congédié ». Les migrants retournent au village, pour survivre. Les paysans ayant perdu leur retraite en bourse, ruminent des remords teintés de colère.
Curieusement, une rare note optimiste émane du quotidien britannique Financial Times du 30 août : selon le FT, à cette crise moins grave qu’elle ne semble, la Chine serait proche d’adopter la solution correcte, une solution légère, « une séance d’acupuncture, pas une opération chirurgicale ».
Pékin s’apprêterait à imposer les réformes bloquées depuis des années : celle de la finance (pour accélérer les investissements en infrastructure et alimenter le secteur privé et les PME) ; celle de la taxation (pour différencier la charge des gros et petits consommateurs, et favoriser l’épargne de l’eau et de l’énergie) ; celle du droit du sol (pour encourager les paysans à investir), et celles des conglomérats (pour les privatiser en partie).
Mais comment le FT peut-il faire un tel pronostic ? Peut-être parce qu’en mars, Li Keqiang accordait une interview exclusive à ce journal, faisant de lui un interlocuteur privilégié ; peut-être aussi parce que le 1er Ministre, concepteur de ces réformes, promettait lui-même le 28 août lors d’un meeting à Pékin, de faire avant la fin de l’année « ce qui peut être fait », pour obtenir « des facteurs positifs de croissance ».
Enfin, le prochain rendez-vous décisionnel, le Plenum du Comité Central qui se tiendra en principe mi-octobre, semble être le moment propice pour ce genre de décision politique.
Or, c’est dans ces moments, dos au mur, que historiquement la Chine est la plus prompte à prendre les décisions qui ne peuvent plus être reculées.
Sommaire N° 30 (XX)