Petit Peuple : Nankin : Wang, le voleur dandy (1ère partie)

Éphèbe nankinois de 24 ans, Wang détestait l’injustice que la vie lui avait réservée. C’était du moins ainsi qu’il voyait les choses, et ce faisant, il frisait la mauvaise foi, car dans son faux départ dans l’existence, une bonne part de responsabilité lui était imputable du fait d’une solide paresse et d’une irrésolution à prendre son destin en mains.

Sorti de son université locale depuis deux ans déjà et par la petite porte, il avait vu ses amis d’enfance s’envoler vers de belles carrières, tandis que lui, restait laissé pour compte, ne voyant à sa portée que des jobs sous-payés, répétitifs et épuisants, qu’il s’efforçait d’éviter, puisque dégradants. Pour justifier cette carrière en panne, il invoquait l’absence de fortune familiale et de hautes relations dans le Parti. Mais avec les notes obtenues durant son cursus, il ne pouvait guère espérer mieux… 

Wang était issu d’une classe mandarinale ayant eu son heure de gloire dans les années ‘30. Il connaissait l’existence de l’ancienne demeure familiale au cœur d’un parc privé au bord du Yangtzé. L’histoire fit que, comme tous les biens du clan, la résidence nobiliaire fut saisie, forçant les ex-bourgeois à se replier dans un deux-pièces médiocre et exigu. 

Très fier du passé, le jeune homme se remémorait aussi avec nostalgie ses aïeux distingués au service de la nation, militaires, écrivains ou hauts fonctionnaires de la République de Chiang Kai-chek.
Chez ses parents, chez qui il demeurait toujours, quelques meubles antiques rappelaient ces fastes d’antan. Telle la petite bibliothèque aux livres centenaires relatant chacun les riches heures d’une ère impériale… 

Hélas pour la famille, tout ceci n’était à présent que cendres et langoureux souvenirs. Faute de savoir adhérer à son époque, Wang vivait dans la précarité, et avait le sentiment amer du pouvoir perdu, de la richesse volée. Les riches autour de lui, ses camarades de promo, fils d’officiers militaires ou de cadres de l’administration, n’avaient démontré aucun génie particulier pour mériter le logis doré, la prébende dans laquelle ils se vautraient à présent.

Son penchant pour la nostalgie passive avait été aggravé par son éducation. Son père et surtout sa mère lui avaient invariablement passé tous ses caprices, sans en avoir les moyens, ni se rendre compte du piège qu’ils lui tendaient sur le long terme : c’était l’encourager à une existence d’oisiveté

Aussi ce jeune dandy, au long poil dans la main, mais envieux de mener grand train, brûlait de transgresser les règles. Il voulait, en un mot, se réapproprier ce qui lui revenait de droit – héroïquement saisir par les cornes le taureau du destin ! 

Voilà pourquoi le 30 avril 2015, flânant dans les beaux quartiers de Nankin, et observant tant de villas cossues désertes, il s’introduisit par effraction chez M. Liu. Après avoir obscurci le champ de vision de la caméra de sécurité, il escalada le mur d’enceinte.
D’un calme olympien, il entra par la fenêtre du second étage, fouilla le salon, tira tous les tiroirs, fauchant quelques babioles sans valeur. Dans la bibliothèque, il choisit « la fleur en fiole d’or » (金瓶梅, jīn píng méi), roman licencieux de la dynastie Ming, introuvable en Chine continentale. C’était une édition taïwanaise, illustrée de planches datant du XIX. siècle. Assis dans le meilleur fauteuil, il en lut un chapitre, puis le mit dans son sac à dos. 

Au frigidaire dans la cuisine, il se servit une bière belge, puis une autre. Il se concocta un succulent plat de porc aigre doux, trouvant au passage l’occasion de se faire un « selfie », coiffé de la toque de marmiton trouvée sur place, et de le poster sur WeChat, ainsi visible par tous ses amis. C’est dans cette position qu’il fut surpris par le retour à l’improviste du maître des lieux. Vite ! Wang prit la poudre d’escampette en sautant par la fenêtre. 

« Ca, c’était la vraie vie », pensa-t-il en s’éloignant, méprisant les imprécations du propriétaire par la fenêtre, indifférent même aux élancements de son poignet qu’il venait de luxer en se recevant à terre. C’était l’élégance suprême, la preuve de son élévation au rang de dandy ! 

Après ce succès, Wang était encouragé, déterminé à recommencer. Pourtant, le chemin qu’il empruntait, défiant les lois de la propriété, était parsemé d’embûches, à laquelle sa jeune témérité était aveugle : « le veau venant de naître n’a pas peur du tigre » (chūshēng niúdú bùwèi hǔ , 初生牛犊不畏虎).

Qu’allait-il advenir de notre dandy cambrioleur ? Vous le saurez la semaine prochaine !

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