A Shenzhen, une halle de Rapoo fait sensation, avec deux lignes de montage en parallèle : l’une aux 110 ouvriers qui soudent, assemblent, testent leurs périphériques pour ordinateur ; l’autre faire le même travail avec 10 employées et 20 robots aux bras articulés. La première sort 4500 souris sans fil par jour, et la seconde, 5000.
Les visiteurs, patrons d’usines, sont sur le champ convaincus de commander ces machines de Rapoo Robotics, filiale du géant chinois de l’équipement informatique. Le dernier argument est imparable : actif 24h/24, ignorant pose-repas et grèves, le robot sera amorti en trois ans, au coût de 0,8 à 1,5 million de yuans.
Bien sûr, l’Etat central lui-même ne peut qu’apprécier cet outil incapable de dissidence, de syndicalisme ou de ces vagues de suicides qui bouleversaient en 2013 les campus de Foxconn, l’assembleur d’Apple.
Le robot séduit aussi la province du Guangdong. En effet, après avoir durant 20 ans profité de la délocalisation européenne des industries traditionnelles, cette industrie cantonaise devient vulnérable face à la concurrence des provinces de l’intérieur, qui ouvrent à leur tour des usines de textiles, jouets ou automobiles, plus proches des sources d’énergie et de matières premières, à prix toujours plus attractifs, et toujours plus capables de retenir leur jeunesse migrante.
Or au Guangdong, le robot peut inverser la donne. Ainsi en mars (après le Chunjie où les migrants du Sichuan ou du Yunnan sont rentrés chez eux, dont bon nombre pour toujours), les usines locales affichaient un déficit en main-d’œuvre de 600.000 à 800.000 actifs – nettement moins que le million affiché en 2012, ou les deux millions de 2010. Ce recul est en partie attribuable à l’automation.
Les chiffres ne laissent nulle ambiguïté sur l’avenir : de septembre 2014 à mai 2015 à Dongguan (Guangdong), 505 usines ont investi 4,2 milliards de ¥ en robots pour casser 30.000 emplois. D’ici 2016 à Dongguan, 1500 compagnies (60% du parc industriel) utiliseront des robots.
Ce tournant est subventionné (943 millions de ¥ d’ici 2017) par une province visant la défense de son industrie, et le monopole du marché d’avant-garde de la robotique. À eux deux, Foshan et Canton visent un marché de robots (avec périphériques) de 400 milliards de ¥ sous 5 ans.
Dès lors, existent en Chine des usines sans ouvriers, telle l’unité Foxconn à Wuhan. À Dongguan, Evenwin Precision Technology Co. veut placer « 1000 robots pour commencer », pour réduire son personnel de 90%, à 200 employés.
Pour l’heure, les premiers usagers de robots en Chine sont dans l’automobile (40% du parc robotique), où ils reprennent les métiers fatigants et dangereux, tout en éliminant les 5% de défauts traditionnels. D’ici 2017, l’éventail des industries robotisées se sera élargi à l’électronique, et bien d’autres secteurs.
En 2014, le marché mondial des robots était de 9,5 milliards de $ (29 milliards aux périphériques). Le Japon est en tête avec 60% de la production. Mais la Chine rattrape vite : sur tel marché « terre promise », nul leader suisse, nippon, coréen ou américain ne peut se permettre de faire l’impasse sur une filiale en Chine. Aussi aujourd’hui, la Chine détient déjà 25% des robots sur son sol, et la Fédération Internationale de robotique lui prédit le 1er rang mondial des pays usagers dès décembre 2015, pour caracoler en tête en 2017 avec 427.000 automates.
Cela dit, la météoritique apparition du robot en Chine est artificielle, portée par les subventions. Trop de fabricants de fraîche date manquent de technologie et dépendent des importations de puces, cartes et autres fibres optiques, ce qu’ils peuvent faire grâce aux subventions. Or, la manne provinciale s’arrêtera en décembre 2016 : « d’ici là, croit Deng Qiuwei, le PDG de Rapoo Robotics, jusqu’à 95% des 700 acteurs du marché disparaîtront ». C’est ce qu’il espère, car son groupe, comme une poignée d’autres « poids lourds », après 20 ans sur le marché, possède la technologie, et compte sur les marchés désertés par les groupes en faillite pour son expansion .
Il n’empêche, un processus d’une ampleur planétaire est en route. Tel est le sens du projet décennal national « Made in China 2025 », calqué sur un projet identique en Allemagne. Le bouleversement sera lourd, en culture d’entreprise—et sur l’emploi.
En 2014, selon les chiffres, la Chine comptait 3 robots par 1000 ouvriers face aux 43,7 pour 1000 en Corée du Sud, 32,3 au Japon et 15,2 aux Etats-Unis. Cela laisse en perspective, une fois le pays « robotisé », des dizaines de millions d’emplois industriels ou de service (dans la distribution) éradiqués.
Dès maintenant, la tendance émerge au sortir des universités, peut-être aggravée par des cursus inadéquats : en 2013, seuls 50% des néo-diplômés trouvaient un emploi, et même 20% des diplômés de l’année précédente restaient chômeurs de longue durée.
Quels plans l’Etat développe-t-il pour faire face à ces tendances inquiétantes ? Comment concilier en Chine emploi (ou moyens de subsistance) et automation ? Partage du travail et des ressources ? C’est pour le régime un défi crucial.
Sommaire N° 25 (XX)