Jusqu’à hier, la Chine prétendait polluer toujours plus, au nom de la croissance. Mais le 9 juin, Chen Jining, le nouveau ministre de l’Environnement avertissait : « le pays atteint ses limites ». Et de fait, en terme de consommation du charbon, le reflux est déjà visible.
En 2014, les « gueules noires » chinoises extrayaient 3,87 milliards de tonnes de houille, assez pour la Terre entière, et une masse qui une fois brûlée, émettra 9 milliards de tonnes de dioxyde de carbone. Mais en même temps, cette extraction annuelle reculait de presque 3% par rapport à 2013 : la plus forte baisse en 14 ans.
Surtout, cet effort traduisait une fuite en avant d’un secteur à 80% déficitaire et aux abois. En 12 mois, le prix du charbon à coke a perdu 75% (à 300¥ la tonne). L’anthracite se vend 200¥ la tonne, en dessous des coûts de production, avec si peu d’acheteurs que les mines livrent désormais à crédit. Les salaires ont baissé jusqu’à 60%, à 2000¥ par mois, faisant repasser les familles sous le seuil de pauvreté. À Yuanshi (Hebei), le nombre de PME minières a chuté de 1000 à… 80. Pour l’ensemble du pays, les importations reculaient en mai de 40%. L’heure est donc à une douloureuse reconversion.
Désormais, l’Etat se garde bien d’assister les mines endettées : entre les mines existantes et celles en cours d’ouverture, l’excès de capacité atteint 1,5 milliard de tonnes par an. Seuls les géants tel Shenhua restent (encore un peu) rentables – mais ils peuvent connaître d’autres soucis, judiciaires : Hao Gui, vice-CEO de Shenhua est sous enquête, pour malversations. Là aussi, c’est nouveau, la campagne anti-corruption a aussi pour fonction de réguler la croissance—un des critères d’intervention de cette police du Parti pourrait bien être, sous prétexte de respect de la loi, l’assainissement de secteurs en excédent de capacité !
Autre avancée : le ministère publie un projet de loi de taxation de tous types de pollution, du dioxyde au décibel en passant par l’ammoniac. Les unités de taxation sont aussi spécifiées, du kilogramme à la tonne et au décibel. De larges exemptions sont prévues aux secteurs sensibles (agriculture, transports…) pour faire accepter cette révolution durant une période de transition.
Il prévoit aussi au 13ème Plan (2016-2020), la vente forcée de quotas d’émissions (de ces catégories d’effluents) aux industriels, qui auront dès lors un incitatif puissant à s’équiper de filtres, pour émettre moins, voire revendre en bourse leur reliquat de quotas.
Dès à présent, certains types de pollution commencent à baisser. Le ministère confirme pour l’ensemble du territoire en 2014, un recul des grands types d’effluents : en oxyde d’azote (-6,7%), dioxyde de soufre (-3,4%), ammoniac d’azote (-2,9%) et demande d’oxygène (-2,47%).
De ce fait, l’air des villes s’améliore—sans être encore satisfaisant. La concentration en particules de 2,5PM a reculé de 11% en moyenne dans 74 métropoles. Le tassement de la croissance y est pour quelque chose : la production électrique, en mai, a été étale, après avoir enregistré un déclin au premier trimestre, et l’an passé, par rapport à 2005, la consommation d’électricité a reculé de 29,9% et la diffusion de dioxyde de carbone, de 33,8%.
S’appuyant sur ce type de données, la London School of Economics confirme (8 juin) que la Chine a franchi son pic de consommation de charbon. Sa pollution devrait décliner non dans 10 ans comme s’y est engagé Xi Jinping, mais sous 5 ans, avec des émissions de 14 voire 12,5 milliards de tonnes de CO2.
Cette nouvelle pourrait influencer la conférence climatique de Paris, la COP-21, fin novembre : la réduction chinoise anticipée améliore les chances du plan de l’ONU de réussir, qui vise une limitation à 2°C du réchauffement global à la fin du siècle. Du coup, les membres du G7, en Allemagne début juin, promettaient qu’un accord sera bel et bien trouvé à Paris.
Le 14 juin, à la réunion du groupe directeur national pour le changement climatique, le Premier ministre Li Keqiang s’engage à « imposer une limite stricte » aux extensions d’industries polluantes ou gourmandes en énergie. « La Chine, ajoute-t-il, s’engage à appliquer de façon efficace, complète et durable la convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique » – le traité de Paris.
Et le 29 juin, au Sommet China-UE à Bruxelles, les partenaires concluront que le changement climatique est une des grandes menaces pour l’humanité. Chen Jining d’ailleurs, prévoit pour la fin du mois de juin, l’annonce de l’offre nationale de coupe d’émissions d’ici 20 ans. Cela permettra aux préparateurs de la COP-21 d’apprécier si l’ensemble des offres mondiales de coupes, est « dans les temps » avec l’objectif commun.
Tout ceci permet d’observer, depuis la COP-15 à Copenhague (2009), le chemin parcouru. A l’époque, Pékin se refusait au moindre effort de décarbonisation de la planète, qui devait revenir « aux autres », pays « riches » et « de l’Ouest ». Aujourd’hui, le monde se décrispe—et le déblocage vient de Chine.
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