Finance : Trois grandes manoeuvres planétaires

Dans l’actuelle course frénétique que livre la Chine vers la dérégulation financière, trois rendez-vous se succèdent en quelques jours, tous porteurs de promesse d’une métamorphose économique en peu de temps. 

– Le 17 juin, Gao Hucheng, ministre du Commerce, signait à Canberra avec le 1er ministre australien Tony Abbott (cf photo) l’accord de libre-échange (ALE), fruit de 10 ans de discussions. 17 jours plus tôt, Gao signait à Séoul un même traité avec le voisin sud-coréen

Quoique concernant des échanges bilatéraux presque doubles en volume (137 milliards de $ pour le commerce sino-australien, 235 milliards pour le sino-coréen), le traité avec la Corée du Sud avait été bouclé bien plus vite, en 3 ans à peine. Cette différence de tempo exprime le surplus de fougue volontariste des pays asiatiques, mais aussi les différences de sensibilité. Pays de tradition conservatrice occidentale, l’Australie peut avoir plus de mal à nouer un partenariat en confiance avec la Chine, que la Corée, sa voisine qui la connait mieux, et qui de surcroit nourrit des ambitions planétaires. 

Au demeurant, les deux accords vont loin. Avec l’Australie, complémentaire de la Chine (celle-ci fournissant les matières premières et celle-là les produits finis), Pékin renonce à 85% de taxes sur le minerai, le lait, la laine, le coton. Dans l’autre sens, Canberra suspend 85% de droits sur le textile, les télécoms, les ordinateurs, le mobilier du Céleste Empire. Les deux baissent aussi les seuils respectifs à l’investissement, pour se donner les moyens d’une « ouverture de qualité ».

Corée du Sud et Chine se donnent 20 ans pour démanteler 91%, voire 92% des taxes sur 17 lignes de produits. Dès cette année, la baisse douanière suffira pour rehausser le commerce bilatéral de 25% en un semestre (300 milliards visés en 2015). Ces deux pays portent à 12 le nombre des nations pratiquant le libre-échange avec la Chine (Chili, ASEAN, Suisse, Nouvelle-Zélande, Pérou, Pakistan, Costa Rica, Islande, Singapour et Thaïlande). Ce qui frappe, dans l’accord australien (succédant à celui néo-zélandais), est le fait que les média chinois y voient, et se réjouissent, d’un « échec  au TPP », Partenariat Trans-Pacifique que Washington tente de promouvoir entre 12 pays d’Asie et des Amériques, Chine exclue. Ces palabres multilatérales progressent, mais sans aboutir, en partie suite au blocage institutionnel d’un Congrès américain en lutte contre son Président. Or, la Chine qui n’est pour l’instant pas invitée à ce marché commun transpacifique, hait le projet, car celui-ci réveille sa vieille hantise de se voir « contenue », isolée par le rival américain… 

– Le 16 juin, les experts du FMI débarquaient à Pékin pour étudier le degré d’ouverture du yuan, de libre usage par les marchés chinois et extérieurs, selon les critères fixés par les « Droits de Tirage Spéciaux », l’embryon de monnaie mondiale du FMI. L’objet de la démarche, est de faire entrer le yuan dans le panier des devises permettant d’émettre les DTS, et (pour le FMI) de les prêter. 

Ces dernières semaines, la Banque Centrale a pris plusieurs mesures pour montrer « patte blanche », en l’occurrence sa volonté d’avancer au plus vite vers un système financier ouvert. Et à ce qui semble, les chances sont bonnes—contrairement à 2010, où le FMI avait conclu que le yuan ne répondait pas aux critères. Les enquêteurs rendront leur rapport « préliminaire » en juillet, suite à quoi des négociations s’ensuivront. 

– Le 15 juin, le 1er ministre Li Keqiang le promettait, son pays va injecter des milliards d’euros dans le fonds européen EFSI (d’investissements stratégiques), appelé à gérer au total 315 milliards d’euros pour financer une partie de 2000 projets déposés par les 28 Etats membres, et qui sera lancé le 29 juin au 17ème Sommet EU-Chine à Bruxelles. 

L’EFSI est supposé avoir un effet de démultiplication de 15 contre 1 : les Etats membres contribueront peu, et l’essentiel des fonds doit venir d’un « effet boule de neige ». La mise chinoise, dont le montant sera fixé en septembre, pourrait donc dépasser celles d’Etats comme la France ou l’Allemagne. Elle visera d’abord des projets technologiques et de télécommunications. D’où une importante question en suspens : contre sa participation, Pékin réclamera quel droit de regard, de gestion ? Ce geste est fait pour remercier les Européens d’avoir refusé de suivre Washington qui voulait boycotter son propre projet de banque AIIB, qui sera basée à Pékin (100 milliards de $, date de signature officielle le 29 juin, en présence de 57 ministres des Finances dont tous les Européens). 

D’autre part, cette injection d’argent est à charge de revanche : la Chine attend des pays du vieux continent qu’ils participent à leur tour aux projets de ses « Routes de la soie ». Deux pays d’Europe expriment des espoirs particuliers : la Grèce, vu les investissements chinois déjà lourds dans le port du Pirée, et la Hongrie qui s’offre à des chantiers chinois sur une route naturelle allant d’Asie Centrale vers l’Europe de l’Ouest…

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