En tradition socialiste, la visite (10-14 juin) d’ Aung San Suu Kyi marque une rupture : en principe, la Chine ne peut aimer une leader étrangère d’opposition démocratique, Nobel de la paix, à l’instar de Liu Xiaobo, le dissident qui croupit pour 11 ans en prison (Suu Kyi en avait fait 15 ans, assignée à résidence). Selon Boxun le site sino-américain, la visite aurait été imposée par Xi Jinping en personne à l’administration, peu enthousiaste. Le jour de son arrivée, la célèbre birmane précisait à toute fin utile que la libération du Nobel chinois n’était pas à l’ordre du jour.
Xi Jinping avait une longue liste de raisons pour forcer l’invitation. La première est géostratégique. La Birmanie, qui était coupée du monde et en dépendance totale de la Chine, révise depuis 5 ans ses alliances, et se tourne vers les Etats-Unis. Or pour Pékin, ce vaste pays de 700.000km² riche en gaz et en façade maritime, est un hinterland irremplaçable. La Chine veut y voir garantir ses investissements. Elle veut mettre un terme à la guerre civile birmane à sa frontière, en faisant régler le problème des Rohingyas, minorité musulmane opprimée, sur laquelle l’égérie des droits de l’Homme demeure obstinément silencieuse…
Enfin, tout en sachant que Suu Kyi ne pourra pas « régner » (la Constitution a été rédigée par la junte pour l’en empêcher), Pékin comprend qu’elle pourra tenir le pays par Président interposé. Aussi la Chine l’accueille en chef d’Etat, reçue par Xi et tous les hauts dignitaires de la RPC.
De son côté, Suu Kyi, à la tête du Parti NLD, n’arrivait pas à Pékin sans objectifs. Car pour elle, le moment était idéal pour négocier l’avenir : de meilleurs crédits pour les chantiers chinois géants (barrage de Myitsone à 3,6 milliards de $), ou la future ligne ferrée Sittwe-Kunming, à 20 milliards de $. Il s’agissait aussi de faire ses contacts personnels avec la Chine, voisin essentiel. Suu Kyi pouvait aussi vouloir parachever sa mutation d’icône des droits de l’Homme vers celle de dirigeante politique mature— stature que la visite a contribué à lui donner.
En fin de compte donc, entre Suu Kyi et Xi, on a assisté à un calcul audacieux, pas évident, mais forgeron d’avenir et « gagnant-gagnant ».
Sommaire N° 23 (XX)