En avril dans quelques vallées du Sichuan, quand les vergers fleurissent, les paysans grimpent aux pommiers, munis d’une baguette embouchée d’un petit tampon : à chaque fleur, ils déposent un peu de pollen. Ainsi, en 30 minutes voire 1h selon sa taille, un arbre est ainsi fécondé, prêt à produire ses fruits. Depuis l’an 2000 environ, ces « hommes-abeilles », comme on les surnomme, remplacent les butineuses, tuées par un abus de pesticides.
Loin de dénoncer cette pratique contre-nature, les autorités locales l’encouragent car la pollinisation humaine rapporte jusqu’à 30% de fruits de plus (prune, abricot, pêche, cerise, pomme, poire…). En effet, l’homme féconde toutes les fleurs tandis que l’abeille, seulement une partie, et en protégeant leurs vergers par un déluge de pesticides et fongicides (plus besoin désormais de se retenir au nom de la survie des abeilles), les paysans obtiennent une récolte plus volumineuse et de plus bel aspect. A travers la Chine, la pratique gagne du terrain : depuis 2010 à 70km de Pékin, les arboriculteurs de Pinggu pollinisent leurs pêchers, préférant la solution « avec chimie et sans abeille », et s’épargnant les 350¥ par jour de location des ruches.
Cependant les scientifiques sonnent l’alarme, tel le professeur An Jianding de la CAAS (Académie d’Agronomie), au vu des risques encourus : les fruits sont plombés en surface, la biodiversité des arbres est perdue (plus que trois espèces par vallée, au lieu de dizaines auparavant), les abeilles se meurent, et avec l’exode rural, la pollinisation humaine va coûter toujours plus cher, aujourd’hui jusqu’à 150¥ par jour.
C’est ainsi qu’une guerre silencieuse se poursuit dans les campagnes, entre le produit sain et bio (la nature) et la biochimie, les deux voies recherchant légitimement le profit. Le ministère de l’Agriculture met l’accent sur la qualité, encourageant les groupements de producteurs (pour faciliter équipement, formation, stockage…), bannissant les pesticides « néonicotinoïdes » nocifs aux abeilles, tout en recommandant ceux organiques. Il édite (27 mai) une directive générale pour un développement agricole plus écologique.
L’enjeu final est l’offre de fruits sains sur les marchés. Traumatisée par de nombreux scandales alimentaires, la ville réclame davantage de produits bio. Mais si certaines campagnes, suite à ces efforts, sont recolonisées par des essaims sauvages, d’autres au contraire sont séduites par les chants des sirènes de la pollinisation artificielle. Face aux ordres émanant du pouvoir central, le paysan oppose une résistance. Comme dit le proverbe séculaire, « le ciel est haut, et l’empereur est loin » !
Sommaire N° 23 (XX)