Zhao Liping naquit en 1951, à Yutian (Hebei), dans l’effervescence de la Chine rouge depuis deux ans à peine. Assoupi depuis des siècles, le bourg s’éveillait dans la tourmente, sous les exécutions à répétition de propriétaires fonciers « capitalistes », menaçant les parents de Zhao, bourgeois aisés et éduqués. Aussi très tôt, l’enfant réalisa que du soutien à la Révolution, dépendait la survie des siens, voire bien plus : une existence confortable, à l’ombre du pouvoir. Dès lors, il ne cessa de militer dans les manifs, l’agit-prop, et adhéra vite aux pionniers, à la Ligue de la jeunesse.
En 1968, « jeune instruit », il se fit envoyer à Horqin. Ce fut un choix avisé : le nom du village, « bannière centre gauche » fleurait bon le socialisme, et l’ethnie mongole de ce district arraché à sa région historique pour être rattaché au Jilin, rappelait le principe de la fusion harmonieuse des minorités dans le creuset Han de la République.
Zhao tomba amoureux de la région. Les années de la Révolution culturelle, il les passa à écrire des poèmes dédiés aux cavaliers, aux collines, à la prairie mongols. Il continuait bien sûr à militer dans les meetings, assurant le service d’ordre, se rendant indispensable, méritant ainsi sa carte du Parti, à l’âge de 25 ans.
Ainsi, une fois Deng Xiaoping au pouvoir, il obtint sans peine en 1982 une place à l’université mongole de Radio-TV dont il sortit trois ans plus tard titulaire d’une licence de lettres chinoises.
Subtilement alors, au lieu de s’enferrer dans un job de prof ou de journaliste, il se fit recruter comme ouvrier dans une imprimerie d’Etat, à 34 ans : coupant court ainsi à toute accusation de bourgeoisie, et ajoutant un titre irréfutable à son pedigree socialiste. À partir de 1988, il fut régulièrement envoyé en stage à Pékin aux universités de Sécurité publique, de Défense nationale de l’APL, et bien sûr au nec plus ultra pour futurs leaders, à l’Ecole du Parti.
De la sorte, dès 1991, auréolé des diplômes qui comptent, ce jeune loup de 40 ans retournait à sa Mongolie. C’était pour lui une époque charnière. Il avait déjà choisi ce qu’il voulait faire : policier, le bras armé dont l’Etat aurait toujours besoin, quelle que soit la mouvance au pouvoir.
Mais il se cherchait aussi : ne valait-il pas mieux être écrivain, politicien, ou industriel ?
Enfin quoiqu’il fasse, il le ferait derrière la grande muraille du Parti, comme homme d’appareil.
En 1998, il était admis, pour ses œuvres et par ses amitiés, à la prestigieuse Association des écrivains.
Par opportunisme plus que par amour, il avait épousé la fille d’un ponte local, accélérant ainsi ses promotions. La vie devenait plus facile : Zhao multipliait ses voyages dans les provinces, à l’étranger (Hong Kong, URSS), dont il tirait des récits au succès honnête.
Dès 2005, il dirigea la police d’une Mongolie Intérieure étirée sur 2000 km, grande comme deux fois la France. Il s’enrichit en rendant service aux industriels et apparatchiks en mal de contourner la loi, ce qu’il était à présent en position de faire impunément. Grâce à ces nombreuses « faveurs » accordées, il menait la belle vie, possédait voitures, duplex et villas, et fréquentait un grand nombre de jeunes femmes peu farouches, en échange de quelques petits avantages qui ne lui coûtaient rien–une patente commerciale, l’enterrement d’un dossier avant un procès perdu d’avance, une recommandation pour un emploi… Il n’oubliait pas non plus, le moment de la retraite, où ses privilèges lui seraient retirés—fameux « syndrome des 60 ans ». Il lui fallait bien mettre des sous de côté !
Tout ce pouvoir, il en était très fier, comme un homme parti de peu, qui avait tout fait tout seul, et facilement en plus, les doigts dans le nez (« en crachant dans les mains », dit le proverbe, 唾手可得 tuò shǒu kě dé).
Il était au sommet de sa gloire. Ses pièces de théâtre faisaient salle comble et pour ses romans policiers aux intrigues glauques, inspirées des rapports de ses lieutenants, il obtenait un prix littéraire.
Cultivant son image d’avenir, il imposa à ses commissariats de réduire les délais de réponse aux appels d’urgence au 110 : « 30 secondes en ville, 60 en banlieue, aussi vite que possible dans les villages ».
Précédé d’une flatteuse réputation, cet homme calme, affable et professionnel accéda au pinacle, nommé en 2010, n°2 du gouvernement du territoire autonome, puis en 2012, vice-Président de l’Assemblée Consultative régionale.
Et comme souvent, en ce pays, le n°2 est le vrai détenteur du pouvoir – Zhao était devenu le roi du nord du céleste empire. Le jour de sa retraite, en janvier 2013, il fut ovationné de longues minutes par ses subordonnés, prêt dorénavant à jouir d’une pension bien méritée.
Et pourtant dans l’ombre, le destin était tapi, à l’affût de Zhao Liping, dont il allait bientôt renverser la gloire, la fortune, la réputation, sa liberté et même peut-être sa vie !
Pour en savoir plus sur cet insidieux danger qui plane au-dessus de Zhao, un peu de patience jusqu’à la semaine prochaine !
Sommaire N° 23 (XX)