Comment alléger la dette colossale des provinces (2900 milliards de $ en juin 2013, et peut-être le double aujourd’hui), et fournir à l’économie les moyens de sa croissance verte de l’avenir ? Tout en palliant à la fuite du capital (80 milliards de $ sortis en trois mois) et au tarissement de l’investissement étranger ?
Par sa directive du 18 mai de réforme du marché des capitaux, le Conseil d’Etat tente de résoudre tous ces problèmes. De ce fait, le document ressemble un peu à une recette de pharmacopée chinoise, avec une pincée d’herbes différentes pour chacun de ces maux, allant du remède à court terme, au soin de longue durée :
– Pour alléger la charge de sa dette, le Jiangsu amasse (18/05) 52 milliards de ¥, sur la vente de ses obligations à bas taux (2,9% à 3,4%). Cependant le 21 avril, lors d’une première vente, les banques s’étaient refusé à acquérir ces titres car ils devaient servir, par swap, à remplacer leurs créances existantes, à 7 à 8% d’intérêt.
Cette fois-ci, elles ont obtempéré et acheté les titres car la Banque Centrale venait d’adoucir la potion amère : en proportion de leurs achats des nouveaux bons, les banques pourraient puiser chez elle, auprès de trois fonds spécialisés, du crédit neuf.
Suite à ce succès, l’autorité financière bat le fer tant qu’il est encore chaud : la Banque Centrale ordonne au Xinjiang de réitérer l’opération le 21 mai.
D’ici le 31 août, 36 régions et villes devront avoir dégraissé les intérêts d’un trillion de ¥, spoliant les banques de 35 milliards de ¥. Mais chacun y trouve son compte : moins étranglées, les provinces ont un ou deux ans pour remettre leurs budgets sur les rails. Les banques ont de l’argent frais, et l’Etat peut prétendre n’avoir pas « directement » dépanné tout ce monde à coup de planche à billets. Cet influx de cash sera complété dans les mois qui suivent par une série de coupes par la Banque Centrale dans leurs réserves obligatoires, libérant des fonds jusqu’alors gelés. Aussi Forbes ne s’y est pas trompé, donnant en tête des ténors du capital mondial, les 4 principales banques chinoises, ICBC en tête.
– Pour regarnir sa sécurité sociale, au déficit croissant, le Shandong lui cède 30% des parts de 3 consortia locaux (électricité, aéroport et salins), valant 532 millions de $, et précise qu’il va poursuivre avec ses 471 autres firmes publiques. Ainsi les nouveaux actionnaires s’apprêtent à donner un coup de fouet aux Conseils d’administration, réclamant moins de « politiquement correct » et plus de rendement. Signe des temps : cela faisait 11 ans que la SASAC, leur tutelle, résistait à cette proposition de recapitalisation de la sécurité sociale…
– Pour relancer la réforme de la santé, l’Etat avertit ses 6800 hôpitaux urbains de se préparer à une privatisation partielle. Cette vente de parts viendra compenser une imminente coupe sombre dans leurs recettes. Ils devront réduire à 30% la part de revenus des ventes de médicaments : démarche essentielle pour démocratiser le coût des soins.
– Une autre série d’émission d’obligations se profile : 160 milliards de $, pour financer les centaines de centrales d’épuration et autres systèmes de nettoyage de l’air et de l’eau que l’Etat veut bâtir sous 5 ans. Banques et bons d’Etat assureront 70% de ces fonds, le reste provenant de PPPs (« partenariats privés-publics »). Les juristes s’ébranlent pour publier à étapes forcées des règlements garantissant propriété et rentabilité—pour créer la confiance des investisseurs.
– Dans le même souci, un « filet régulateur » doit être approuvé en 2015 au Conseil d’Etat, pour limiter les risques chez les 8922 agences de micro-crédit du pays. Aux encours de 154,7 milliards de $ et aux taux élevés (18%- 20%), ces maisons sont vulnérables au 1er « coup de noroît » s’abattant sur elles.
– Pour soutenir la croissance, la dernière tranche de chantiers publics est approuvée le 19 mai, 250 milliards de ¥ pour le métro de Chengdu et diverses liaisons ferrées entre Shandong, Mongolie et Dongbei.
– Par ses diverses mesures, la directive du 18 mai a redynamisé la bourse, y compris à l’étranger : elle annonce le couplage de la place de Shenzhen (après celle de Shanghai) avec le HKSE.
– Dernière facette de cette réforme aux 1000 tentacules, la Banque Centrale permet aux banques de gonfler l’intérêt de leurs prêts jusqu’à 50% au dessus de son propre taux, au lieu des 30% précédents. Mais en même temps, verbalement, elle les avertit de se limiter « volontairement » aux taux-planchers, sous peine de sanction.
Que signifie ce curieux double langage ? Selon les analystes, la Chine espère voir cet été le FMI classer son yuan parmi les monnaies-réserves des DTS (droits de tirage spéciaux), privilège des devises du commerce international. Pour réussir, il lui faut rendre, au moins sur le papier, son yuan le plus convertible possible, et ses taux les plus dérégulés. Mais en même temps, l’endettement intérieur le force à brider les banques, pour éviter la faillite des provinces et des consortia, à ce moment d’affaiblissement de la croissance. Le résultat est donc ce compromis créatif, qui à défaut d’être à coup sûr acceptable au FMI, confirme à la fois les intentions du régime (la dérégulation) et les difficultés du moment. Il est également le fruit de la capacité de la finance chinoise à jongler entre différents paramètres, et d’apporter une réponse inédite.
Sommaire N° 20 (XX)