Les 16-17 mai, Linshui (près de 2 millions d’habitants à 70km de Chongqing) fut le théâtre d’une brève mais violente manifestation, pour un motif inhabituel. En général, ce sont les projets d’usines chimiques ou de retraitement qui sont visés. Cette fois-ci, la rue s’indigna d’être privée d’une ligne de chemins de fer. En effet, pour le tracé de la liaison Chongqing-Dazhou (Sichuan), l’administration avait choisi le tracé via Guang’an, ville-sœur plus à l’Ouest. Or Guang’an avait déjà deux voies ferrées, et Linshui aucune (ni voie fluviale, ni aéroport). Elle restait donc privée de chance de développement.
Il n’en fallait pas plus, 7 jours après, pour que 30.000 citadins de Linshui se mettent à manifester avec calicots et mégaphones. Pour les habitants, la raison du favoritisme ne faisait pas de doute : Guang’ an était la ville natale de Deng Xiaoping, et les cadres votèrent pour ce tracé « politiquement correct », leur assurant les meilleures chances d’avancement.
Mais dans un Sichuan encore régi (comme la Chine de l’intérieur) par un autoritarisme étroit, la « rébellion » était inadmissible : la patience des autorités fut vite épuisée. Selon les rares témoignages, la marche aurait débuté dans le calme, sous des slogans tels « nous voulons la croissance… un chemin de fer pour Linshui »… Mais dans la nuit, la situation dérapa, des voitures de police brûlèrent, et les forces de l’ordre, lapidées de pierres, réagirent furieusement. Les manifestants dénombrent 4 morts et 100 blessés, ce que les autorités nient.
Dès le 18 mai, des centaines de policiers furent acheminés en renfort, l’histoire censurée sur internet, et ce dernier même coupé localement. Une quarantaine de protestataires furent arrêtés. Dans les heures qui suivirent, Pékin réagit en démentant que toute décision fût arrêtée— « l’enquête sur le tracé restait ouverte ».
Selon les apparences, ce conflit proviendrait d’une série d’erreurs des autorités locales, notamment du maire de Guang’an, qui mit le feu aux poudres en annonçant la victoire de sa ville. Il se trouve qu’à même époque, suite à une bavure policière, l’Etat central déplorait (au Quotidien du Peuple du 15 mai), sa propre incapacité à dialoguer avec l’opinion. Nul doute que l’incident de Linshui relancera la réflexion interne.
Vu sous cet angle, le cas de Linshui est doublement instructif : il révèle la naissance d’une conscience de la rue, d’un « droit » au développement, que l’on ose affirmer, à mesure que les populations prennent conscience de l’inégalité devant la croissance. D’autre part, apparaît sous une lumière crue le décalage entre des pouvoirs locaux dépassés par des enjeux qu’ils ne comprennent pas, et le souci du pouvoir central, bien conscient des risques de dérapage.
Sommaire N° 20 (XX)