« Dès que les myriades de cellules composant le marché… réussiront à s’activer, un formidable dégagement d’énergie s’ensuivra, qui propulsera la croissance ».
Par ce genre d’élan lyrique, Li Keqiang, le 1er ministre, tenta de galvaniser l’ANP, en son 1er jour de session (05/03). Il lança aussi cet appel insolite au Conseil d’Etat, son institution : « le gouvernement doit avoir le courage de s’imposer une révolution et laisser au marché et à la société un espace suffisant pour se développer… dans une concurrence équitable ».
Selon la tradition, le discours présentait les orientations politiques de 2015. Au programme, de la réforme tous azimuts et des projets impressionnants, telles ces créations imminentes d’« artères logistiques internationales » : les « nouvelles routes de la soie ».
Les bruits couraient jusqu’alors d’un Li Keqiang étouffé par la personnalité du Président Xi Jinping, en perte de vitesse, son programme aux oubliettes, et sans autre perspective que celle de se retirer en fin de mandat en 2017. Force est de constater qu’au contraire, toutes ses idées depuis 2012 sur la « démocratisation par la croissance », restent d’actualité, en cours de matérialisation.
On note aussi dans ce discours une érosion du champ politique. Mao n’est pas cité. Deng l’est, une fois. Hu Jintao et Jiang Zemin le sont, par allusion. Même le dernier slogan de Xi Jinping, les « Quatre fondamentaux » reste éludé. Voilà qui dément ceux qui annonçaient un « tournant à gauche » du régime… À remarquer, les sujets qui fâchent sont absents, tels Tibet, Xinjiang ou Taiwan. D’autres, telle la lutte anti-corruption ou la suppression du Hukou (permis de résidence) sont traités dans le flou, sans chiffres ni bilan, laissant suggérer des désaccords dans la classe dirigeante.
S’il faut retenir un mot clé de cette présentation, ce serait celui de « Nouveau normal », et d’une volonté de profiter de la récession, fin d’une ère productiviste pour réorienter l’économie vers le durable et la montée en gamme.
Les industries publiques doivent renoncer à leurs budgets automatiques, se séparer des personnels et unités qui végètent : notamment dans les hydrocarbures et l’électricité, « dans le respect des droits des travailleurs ». Les administrations doivent offrir davantage de services. Les licences doivent être décentralisées et dotées de dates limites. Les PME doivent voir leurs formalités administratives simplifiées –les créations de firmes en 2014 atteignaient 12,93 millions. Elles doivent aussi recevoir plus de crédits : « toutes demandes viables de banques privées seront honorées », et un « crédit social » doit être mis en place, secondé par une base de données nationale des mauvais payeurs, pour aider la finance à faire le tri.
Attendue depuis 10 ans, une réforme des prix est aussi en chantier : seront libérés « presque tous » les médicaments, voire les transports, l’eau d’irrigation, les services urbains : une « tarification graduelle » en fonction de la consommation des ménages est au banc d’essai, ainsi qu’une grille des prix des énergies qui promeut les économies d’énergie, et les énergies propres.
Li Keqiang semble aussi suggérer, dans l’année, le dépôt devant l’ANP d’un projet d’amendement de la loi de la taxation : il révisera les impôts (suppression de la taxe d’affaires au profit de la TVA), et la clé de répartition de la recette fiscale aujourd’hui à 60% pour Pékin et 40% au niveau local –lequel, de plus en plus, va devoir assumer plus de charges au titre de l’intégration des migrants, de la création d’hôpitaux, d’écoles…
L’agriculture conserve sa priorité absolue : « toute allocation au secteur ne pourra que monter, jamais baisser ». Citons ici une énigme, peut-être explicable par l’épuisement des terres et un effort intenable de rendement : l’objectif céréalier fixé pour 2015 est de 550 millions de tonnes, 10% de moins que la récolte de 2014 qui atteignait 605 millions de tonnes…
Une série de chantiers géants sont annoncés dans l’année : 477 milliards de ¥ (assortis à une ouverture aux fonds privés) à la rénovation des quartiers vétustes (dont 5,8 millions d’appartements refaits), aux égouts, à l’irrigation, aux énergies alternatives. 800 milliards de ¥ iront respectivement aux secteurs des chemins de fer et de la maîtrise de l’eau. Ces projets aideront en 2015 à atteindre 7% de PIB « environ » – vocable désormais systématiquement accolé à tous les objectifs, tels l’inflation (3%), les créations d’emplois (10 millions) ou la planche à billets « M2 » (+12%).
Un dernier angle important des plans de Li Keqiang, concerne l’intégration des provinces et l’urbanisme, un dossier encore inconnu en ce pays qui bâtit ses villes, sans penser à ses emplois, sa pollution, ses transports, ses loisirs ou ses services urbains. Cela change à présent, avec des projets cités, telle la grande région Pékin-Tianjin-Hebei, les « 4 régions », ou les « 3 ceintures de soutien » (vieilles régions industrielles). C’est un pas vers l’intégration d’un marché vraiment national (entre régions assez équipées pour pouvoir envisager de lever leurs barrières intérieures) et une nouvelle ère qui s’en vient.
Sommaire N° 9 (XX)