Parallèlement à la campagne anti-corruption lancée par Xi Jinping depuis plus d’un an, s’est greffé en Chine un redressement idéologique aux accents indéniablement maoïstes.
Dès avril 2013, le Parti publiait un document central n°9 contre les « valeurs universelles de l’Ouest ». Puis en octobre 2014, surgissait un document n°30 encore plus mobilisateur, adjurant les membres du Parti de traquer quiconque « chanterait sur un autre air que celui du niveau central », et prétendrait « briser le bol du Parti, après en avoir mangé la soupe ».
Dans la presse et les universités, la chasse était ouverte contre les cercles libéraux accusés d’être « nids de pensées anti-Parti », et les intellectuels tentés de critiquer le régime.
Pour les milieux gauchistes, ce tournant, très inattendu, était la « divine providence», intervenant juste après la chute en 2012 d’un Bo Xilai terrassé pour avoir tenté de mobiliser la société sur des thèmes rouges anachroniques. Après avoir senti le vent du boulet, les nostalgiques post-maoïstes pouvaient relever la tête : « c’est une période en or pour être gauchiste », déclare Zhang Hongliang, ultraconservateur.
Le tournant est net. Shen Yongping, cinéaste, prend un an de prison pour avoir tourné un film sur la Constitution. Wang Congsheng, professeur de droit, Wang Yaofeng, éditorialiste, et Qiao Mu, professeur de journalisme, perdent leur emploi pour des délits variant entre le soutien aux étudiants de Hong Kong et des critiques au Parti.
On voit même, à l’université de Xi’an, un administrateur pousser l’anti-occidentalisme jusqu’à interdire aux étudiants de fêter Noël – ce qui, depuis des décennies, ne s’était plus vu en Chine. Puis, quand à Shanghai une bousculade meurtrière coûta la vie à 26 jeunes le 31 décembre, le même cadre s’auto-justifie de son abus de pouvoir, au nom de la sécurité des jeunes…
Les zélotes de la répression sont souvent de la mouvance des « rouges de seconde génération » (红二代 hong er dai).
Pour Christopher Johnson, ancien analyste à la CIA, ce penchant gauchiste ferait partie intégrante de la personnalité de Xi Jinping. Par contre, l’historien Wu Si croit toujours pouvoir expliquer la rigidité du chef de l’Etat par le souci de ne pas prêter flanc à l’accusation de néo libéralisme—Xi ayant réalisé lors du face-à-face avec Bo Xilai, l’attraction importante sur la jeunesse des réminiscences révolutionnaires, et s’étant résolu à ne plus laisser quiconque occuper cet important terrain politique.
En même temps, début janvier, la campagne anti-corruption se durcit encore.
Parmi les derniers « tigres », hauts cadres corrompus épinglés, compte Sun Hongzhi, n°2 à l’Administration Centrale de l’Industrie et du Commerce (SAIC), avec rang de ministre, ainsi que Zhang Kunsheng, assistant vice-Ministre des Affaires étrangères. La chasse aux corrompus sert bien sûr à traquer les adversaires du 1er Secrétaire du Parti— une pratique traditionnelle et constante dans chaque nouvelle équipe politique.
Mais ici, on voit la campagne passer à l’étape supérieure, inédite depuis Mao : dépassant les frappes envers des cadres, Xi dénonce et fait interdire les « cliques » au sein du Parti. Via le Quotidien du Peuple, il désigne trois factions : celles du pétrole, (avec les noms épinglés de Jiang Jiemin), du Shanxi (dénoncé, Ling Jihua) et du Secrétariat (accusé, Guo Yongxiang). L’attaque est présentée –et peut-être est-ce la réalité– comme la suite logique de la campagne anti-corruption, dans la mesure où de telles cliques servent les intérêts privés de leurs meneurs. Il se trouve aussi, par ailleurs, que ces hommes sont d’ex-lieutenants Zhou Yongkang (Jiang Jiemin) ou de Hu Jintao (Ling Jihua).
Fait notable, la campagne ne s’attaque pas frontalement aux grandes factions traditionnelles, au « club de Shanghai » (de Jiang Zemin) ou à la Ligue de la Jeunesse (de Hu Jintao) – c’est trop tôt, sans doute.
Au même moment vient la riposte de Jiang Zemin. À 88 ans, il sort de sa retraite pour se montrer à Hainan, sur un site dit « Mont de l’Est » (Dongshan). Mais en chinois, « passer sur le mont de l’Est » a un sens politique, à savoir « faire son retour ». Or, lors de cette promenade, Jiang était accompagné du Secrétaire provincial (signifiant ainsi qu’il compte encore de nombreux soutiens) et de ses enfants et petits-enfants – avertissement discret de ne pas toucher à sa descendance.
Tout ceci permet d’esquisser sommairement la bataille considérable en cours, sur l’ensemble de l’échiquier politique chinois. L’enjeu est connu, et l’échéance sans doute assez proche désormais : la vaste réforme sociétale et financière méditée par Xi, ainsi que son 1er ministre Li Keqiang. Pour l’instant, à ce qui semble, Xi a l’initiative et les cartes bien en main.
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