Editorial : Le prochain tigre en cage, sera kaki

Placé sous le signe de la « gouvernance légale » (法治), le 4ème Plenum, loin d’enterrer la campagne anti-corruption qui sévit depuis deux ans, bien au contraire l’a renforcée et l’inscrit dans la durée. Le 25/11, la Commission Centrale de Discipline (CCID) lançait une 3ème phase visant 13 bastions d’Etat, tels Dongfeng (auto), Unicom (tél), Huadian (électricité), CRI (radio), le ministère de la Culture, ou Sinopec (pétrole). Pour gagner du temps, au lieu d’éplucher les livres de comptes, les inspecteurs se concentreront sur une seule division – selon dénonciation. 

La CCID aussi, pour éduquer le simple citoyen sur les risques de la corruption, publie les résultats de deux ans d’enquête, véritable petit manuel de « comment acheter ou vendre un poste, une promotion, une mutation ».
Le meilleur moment, par exemple, est celui des vacances (quand nul ne vous voit), quand des postes sont à pourvoir (élections locales, changement d’équipe dirigeante), ou avant de gros besoins d’argent (pour payer des frais médicaux, des études à l’étranger, un mariage).
Le prix peut atteindre des millions d’€ et forcer le corrupteur à s’endetter lourdement –quitte à se rembourser ensuite dans ses nouvelles fonctions. Tout le mal, selon la CCID, provient de la toute puissance du chef, qui force ses adjoints à se « mouiller » avec lui . 

La campagne frappe le plus fort l’armée. Ex-n°3 de la Commission Militaire Centrale (CMC), Xu Caihou (cf photo à droite) s’est vu confisquer des trésors de jade, des dizaines de lingots d’or, une tonne de billets de banque et des dizaines d’appartements. Le 20/11, Liu Yazhou, Commissaire du Parti à l’université Nationale de Défense, prédit qu’un autre « tigre » en kaki va être pris. Peut-être le Général Guo Boxiong (cf photo à gauche), ex-n°2 à la CMC. Toute l’APL serre les rangs : 200 officiers sont inquiétés dont 7 arrêtés en 8 jours, et 3 suicidés en 2 mois. 

En même temps, le pouvoir prépare à l’APL des mesures de « réarmement moral ». Bientôt, des commandos militaires pourront opérer hors-frontières, et surtout les promotions n’auront plus lieu que sous des critères stricts de loyauté à Xi Jinping, et de probité.
Ce qui renvoie à la « gouvernance légale », le dernier slogan de Xi Jinping, qui tente de réconcilier deux écoles antiques de pensée : la légaliste de Han Feizi (280–233 av. J.-C.), la moraliste de Confucius (551–479 av. J.-C.). En filigrane de ce cadre conceptuel, on voit le besoin de faire accepter par les hauts cadres, un tournant réformiste qui lèse leurs intérêts corporatistes. Xi sent qu’il ne peut exiger de ces « fils de 2ème génération rouge » (hong’erdai, 红二代), de tomber brusquement sous le coup de la loi. Ils doivent pouvoir en être « parfois » exemptés, sous prétexte d’autodiscipline (de « vertu »).
Bien sûr, ce principe hérité du passé, est intenable. Il maintient l’arbitraire et n’ose toujours pas imposer les seuls outils anti-corruption qui marchent ailleurs sur Terre : l’indépendance de la presse et de la justice. Mais dans sa course au changement, Xi n’a pas le choix : pour atteindre un consensus, il doit faire des compromis avec ce puissant groupe des familles révolutionnaires, dont il est issu et qui l’a élu.

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