Petit Peuple : Pékin – Meng Duanmu – la terreur et la superstition

A 57 ans, Meng Duanmu (pseudonyme), fils du sérail, s’était fort enrichi dans sa fonction de général de l’Armée Populaire de Libération. Sous le soleil, il possédait des dizaines d’appartements de standing à travers le pays, ainsi qu’un palais dans son village natal, copie miniature de la Cité Interdite. 

Or un beau jour, sa fortune s’inversa – le clan qui le protégeait perdit ses appuis et devint vulnérable. Suite à quoi, il ne fallut que 3 mois pour voir les inspecteurs débarquer au manoir. 

De sa caverne d’Ali Baba, ils chargèrent 4 camions pleins de bidules hétéroclites mais toujours hors de prix : diaphanes vases « coquille d’œuf » de Jingdezhen, objets inélégants mais d’or massif pesant au bas mot quelques kilos (une vasque, un navire, un buste du grand Timonier), « bi » géants (disques cosmogoniques) en jade blanc d’époque Han… 

Parmi ce luxe extravagant figurait un objet simple et austère, coffre en bois rouge foncé, vide… Les limiers déconcertés s’interrogèrent du regard, jusqu’à ce que l’un, plus fin que les autres, éclate de rire !C’était du « táomù » 桃木, acajou qui en chinois se prononce comme « 逃目 », « échapper au regard ». En cachant cette boite parmi ses trésors, Meng avait prié les Dieux de lui épargner un coup du sort ! 

A Pékin, d’autres enquêteurs fouillant son bureau, eurent la surprise de découvrir trônant sur la table, une grosse pierre, manifestement sans la moindre valeur. Le secrétaire de Meng leur révéla qu’un magicien le lui avait cédé à prix faramineux, en raison de ses vertus prétendument miraculeuses. Tant qu’elle resterait sur son bureau, elle le tiendrait à l’abri des griffes de la justice, civile ou militaire…

Hélas pour ce naïf général, quand la déveine arrive, elle s’incruste ! Une fourmilière de comptables vint éplucher ses comptes, et ne mit pas longtemps à déceler un trou de 10 millions de ¥ ! 

Meng dut alors avouer qu’il avait voulu offrir une nouvelle sépulture à ses parents. Le pactole avait été partagé entre le marbrier, le doreur, le sculpteur… Une troupe de moines taoïstes avait aussi touché sa part pour accompagner les ossements, à coups de gongs et cymbales, de pleurs spectaculaires, de mantras et génuflexions, pour une mémorable cérémonie funéraire. 

Mais l’essentiel était tombé dans la bourse d’un devin, autoproclamé « le Sage du Xinjiang », payé pour détecter le site au meilleur « fengshui » (风水), source méridienne de bonnes ondes, pour que reprenne le repos des parents, à l’issue du dérangement. 

Il est légitime de s’interroger sur la motivation réelle du général : la piété filiale ou l’espoir d’acheter ses aïeux une protection contre les démons ? Toujours est-il qu’elle lui valut un nouveau chef d’inculpation, pour « comportement féodal et superstition ». 

Que Meng soit poussé par l’avidité à s’enrichir, on pouvait le comprendre. Mais pourquoi mêler à cela des sornettes de grand-mère, que même les jeunes ne gobent plus depuis longtemps ? Un chercheur universitaire s’est penché sur la question, et sa réponse vaut qu’on s’y arrête. 

Durant toute sa carrière, le soldat gourmand avait dû subir 24h sur 24h le risque de la délation. Plus il montait en grde, plus il amassait des biens, et plus il vivait dans l’effroi du châtiment, faute de pouvoir deviner d’où viendrait la dénonciation : de collègues jaloux, de journalistes, de rivaux du clan d’en face, de sa propre femme (chaque fois qu’elle lui découvrait une nouvelle amante) ?

Meng était le lièvre à découvert dans la pinède, avec les collets tendus de tous côtés, prêts à happer ses membres à tout moment. Une telle menace empoisonnait tous ses plaisirs. Cette réalité était si effrayante qu’il préférait se réfugier dans un autre monde, celui des magiciens qui lui procuraient réconfort et sommeil profond. 

L’explication était honnête. Mais pourquoi, quelques jours après le passage des agents du Parti, dans son parc déjà déserté des jardiniers, n’entendait-on pas, à l’aube, le général Meng sanglotant dans le gazon en balbutiant : « Seigneur Bouddha, et vous Père, Mère, pourquoi ne voulez-vous point m’accorder votre grâce » ?

Cette fois, l’incantation ne se référait plus à la terreur d’être dénoncé, mais bien à celle d’apparaître dans l’au-delà vêtu des nippes honteuses et souillées par sa débauche. C’était le combat avec l’ange, le besoin éperdu d’obtenir pour ses péchés, le pardon « des Dieux et des hommes en colère » (神人共愤, shén rén gòng fèn). 

Planqués dans leur buisson, les limiers ne purent que prendre acte de la ferveur religieuse stupéfiante mais indiscutable de ce très haut serviteur de la nation. Bientôt, cette scène figurerait en pièce à conviction dans son dossier, et dernier clou planté dans le cercueil de sa carrière. Car le Parti ne déteste rien de plus que voir ses membres se métamorphoser derrière son dos en grenouilles de bénitier, fussent-elles bouddhistes ! 

NB : pour des raisons aisément compréhensibles, ce personnage est recomposé. Mais toutes les mésaventures décrites ici, sont documentées.

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