Depuis des années, la Chine entière, au sein et en dehors du Parti communiste chinois, s’interroge sur la question fondamentale : « faut-il garder profil bas, voie de la sécurité, ou s’affirmer face au monde, voie du risque » ?
La 1ère option, dite « couvrir la lanterne et préférer l’ombre » (韬光养晦, tāo guāng yǎng huì ) était celle de Deng Xiaoping. La seconde, « viser réussite et grandes réalisations » (奋发有为, fènfā yǒuwéi ) est celle de Xi Jinping, qui a délibérément éludé la première citation dans son dernier discours du 22 août (cf. édito).
Cette question en fait, importe à tous les secteurs d’activité publique –défense, diplomatie, industrie, arts…
Trois constats
Tout en se déchirant entre ces deux pôles, la société chinoise entière semble d’accord sur trois constats :
– le monde d’hier n’est plus (flux monétaires, nouvel ordre mondial…) et tout est à revoir,
– la Chine ne peut plus rester à l’écart du jeu géopolitique,
– elle a besoin d’une attitude cohérente et unique, sur le plan économique face à l’Union Européenne ou aux Etats-Unis, en négociations climatiques face à l’ONU, ou en affaires militaires face au Vietnam ou au Japon en mer de Chine.
Quelle ligne de conduite dans la campagne anti-corruption ?
Dans sa campagne anti-corruption, ce débat laisse aussi trace, ainsi que la réponse prônée par le chef de l’Etat : l’action de Xi Jinping est autrement plus assertive que celle de ses prédécesseurs, avec 182.000 enquêtes en 2013 (contre seulement 10 à 20.000 en 2012), et 25.000 sanctionnés dans les 6 premiers mois de 2014 pour le seul délit de « train de vie extravagant ».
Wang Qishan, le grand chantre de cette campagne, a fait preuve d’une créativité débridée, visant à occuper ce terrain vierge de la répression des fraudes : en plus d’un an, des milliers d’inspecteurs furent envoyés à travers les provinces.
Méthodes nouvelles : à Shanghai, à Canton, des boites aux lettres furent installées dans des campus tel celui de Fudan, récoltant 2000 dénonciations le premier mois. Dans le Guizhou, des cadres furent invités à la prison de Kaili pour rencontrer leurs malheureux ex-collègues, histoire de les faire réfléchir.
Des centaines de pratiques sont révisées, telle celle des « brevets bidons » déposés par des commissaires de police, qui permettaient à leurs auteurs de couvrir leur propre corruption. Wang Lijun, l’ex-homme de Bo Xilai, en avait déposé 254.
De même, les compagnies que ces cadres avaient montées (tel les 40 du commissaire de Tianjin dans le stationnement, la maintenance des routes) sont dissoutes, et leurs titulaires arrêtés. Dans les tribunaux, les procureurs surveillent désormais les remises en liberté, pour empêcher les riches détenus de racheter l’annulation de leur billet d’écrou.
A l’inverse, pour survivre à ce maelström moraliste qui menace leurs affaires, les hôtels se dépêchent d’effacer une étoile ou 2 à leurs frontons, et les transporteurs aériens rebaptisent « business » leur 1ère classe , afin de conserver quelques clients.
Dans cette tempête, le système devient instable : Wang exige que tout résultat d’enquête locale, soit notifié à Pékin pour vérification.
De même, dit-il, « cette campagne ne peut-être qu’un début, appelé à durer jusqu’à ce que l’on trouve un système définitif de police et de justice permettant d’appliquer la loi ».
Ce qui en bon français, s’appelle une justice, voire une presse indépendante. C’est peut-être le résultat attendu, voire inéluctable, si Xi Jinping reste fidèle à sa logique et croit en sa démarche !
Sommaire N° 28