Petit Peuple : Pékin – « Master-nouilles », la robe troquée pour la toque !

Zhang Tianyi Cuisine

Étudiant pékinois, Zhang Tianyi avait tout pour réussir. Ses parents fortunés l’avaient poussé jusqu’à Beida, une des universités les plus cotées, dont il était sorti avec un master de droit des affaires. Il en endosserait bientôt la robe des avocats : la vie s’annonçait belle… 

Nonobstant, Tianyi avait trois soucis—c’est beaucoup pour un jeune qui cherche sa voie : chaque été, il voyait se reproduire la même scène des néo-diplômés passant des nuits blanches à chercher des boulots, souvent sans succès (le plein emploi universitaire étant depuis longtemps un mythe du passé), ‚il n’aimait pas que ce soient ses parents qui décident de sa vie pour lui, et il fallait bien l’avouer, le droit des affaires l’emm… l’ennuyait à mourir. C’était la science des ânes —Tianyi prétendait avoir assimilé « en trois mois » les 14 manuels constituant la matière de ses six années d’étude. 

Aussi en juin 2013, c’est sans la moindre conviction qu’il empocha son diplôme pour aller faire son parcours du combattant chômeur. Avec des milliers d’autres, il hanta les antichambres des cabinets d’affaires, les foires à l’emploi. Chaque soir durant des mois, il échangea par WeChat mille tuyaux crevés, posta ses CV… Comme ses camarades de promo, il partit prospecter en province, et en revint bredouille, après avoir refusé des positions ridiculement surqualifiées et sous-payées. 

Au fil de ces échecs, Tianyi commença à réfléchir à une alternative. Il se trouve qu’à chaque fête du printemps lunaire, la famille retournait chez sa mère à Changde (Hunan). Durant cette semaine, chaque soir, pour éviter d’épuiser la grand-mère en cuisine, on dînait au restaurant, goûtant les variantes de la célébrité gastronomique de la ville, les nouilles de riz au bœuf anisé, aux légumes fortement pimentés. Le plat était graisseux à souhait : on se clarifiait ensuite le palais d’une coupelle d’alcool blanc. Pour Tianyi, c’était sa petite madeleine, le souvenir d’enfance. Aussi en décembre 2013, sa décision était prise : ouvrir un restaurant, faire connaître à Pékin cette délicatesse régionale inconnue. 

Pour faire accepter ce choix à ses parents, le jeune Tianyi dut guerroyer d’importance : ils n’avaient pas payé 6 ans d’études de droit pour faire de leur fils un patron de gargote ! Comme toute la vieille génération, ils restaient sous le dictat de Mencius, pour qui « l’homme de qualité ne touche pas à la cuisine ». En bons membres de la classe privilégiée, ils croyaient qu’un diplôme des universités impliquait une supériorité morale, quasi ethnique, et dispensait des tâches physiques, salissantes et fatiguantes. 

Heureusement pour Tianyi, sa mère psychologue professionnelle, savait écouter et réfléchir. Point de sot métier, et pourquoi l’affaire de son garçon ne marcherait-elle pas, si elle était bien préparée ? Aussi grâce à elle, après longues discussions, le feu vert fut donné, à une condition qu’il accepta avec enthousiasme : les parents ne paieraient rien.

Pour financer son affaire, Tianyi obtint quelques piges dans des revues universitaires, des traductions. Astucieusement, il sut convaincre deux copains de promo et un cousin de se joindre à l’affaire, partager travail, profits—et investissements : ils avaient déjà 100.000 yuans. Dans le quartier branché de Jianguomenwai, ils louèrent au World Financial Center un local, qu’ils nommèrent joliment « Funiutang » (« au Bœuf accroupi »). Ils l’obtinrent à bon compte, vu sa taille minuscule (40m²) et sa place au sous-sol. Puis une bonne partie du capital passa dans l’équipement et la décoration. 

Pour la formulation du plat unique, il fallut aussi travailler. A Changde, il visita une douzaine de restaurants de la ville, y dîna et redîna, comparant les arômes et les présentations, négociant âprement avec les patrons pour qu’ils daignent lui confier sa recette avec tous les trucs associés—ce qu’un seul enfin, de guerre lasse, accepta de faire. 

Enfin en avril 2014, c’était le « soft opening », puis l’ouverture. Les 100.000 yuans étaient depuis longtemps envolés, et nos quatre lascars n’avaient pas les moyens de s’offrir du personnel. Aussi, c’est eux, tour à tour, qui faisaient le service. Pour débarrasser par contre, les convives déposaient eux-mêmes les bols vides dans des bacs, recevant en échange une coupelle de quartiers d’oranges. 

Zhang Tianyi RestaurantLe résultat dépassa toutes les espérances : dès le 1er jour, une queue se forma à la porte. Depuis des mois en effet, toute l’université était curieuse de connaître le restaurant qui avait déjà son surnom à l’avance, « Master-nouilles » – parce que trois des associés étaient titulaires de ce diplôme, si peu compatible avec la confection de pâtes alimentaires. Qui étaient ces jeunes, parmi les 1% de diplômés en Chine à avoir osé « aller chercher ailleurs leur destinée » (lìng pì xī jìng, 另辟蹊径) ?

Après 8 jours, faisant les comptes, ils avaient servi 400 couverts et gagné 16 000 yuans – une petite fortune ! Tianyi, le maître à bord, décida alors de limiter les entrées à 120 par jour : investir dans la qualité, et forcer les clients à mériter leur passage au Funiutang par la patience. Une démarche habile, et qui évita au resto branché de sombrer trop tôt dans la banalité. 

La consécration vint le mois suivant, quand Xin Changxing, le vice-ministre des Ressources Humaines, cita le « Bœuf couché » comme exemple de l’esprit d’entreprise chez les jeunes. « Pékin a plus besoin d’un bon bol de nouilles, dit le haut personnage, que d’un avocat d’affaires en plus » !

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