A Pudong (Shanghai), dans son Centre de Recherche et d’Innovation, 300 chercheurs de L’Oréal (欧莱雅) inventent les cosmétiques de demain. Lors de son ouverture en 2005, ils étaient seulement 7, et quoique prévus plutôt larges, les locaux sont déjà exigus vu l’embauche permanente – un nouveau bâtiment se construit pour faire face aux besoins toujours plus lourds d’une R&D à long terme.
La visite du Centre tient d’une école de magie.Ici, des milliers d ‘arômes ou de pigments sont à portée de main, permettant la création ou copie instantanée de tout rouge, baume ou shampoing.
Là, un spectrogramme de dernière génération analyse un derme par tranches de quelques microns pour déterminer sa compatibilité avec tel type de produit corporel.
Sur un mur trône un tableau photographique inquiétant : c’est le 1er classement au monde de tous types de rides par degré d’intensité, permettant de tester l’efficacité des traitements de réduction.
« Créer un nouveau produit prend des années, explique Sandford Browne, vice-Président R&I. Le ‘bon à produire’ n’est donné, qu’une fois démontrés ses aspects d’innovation technologique, de fiabilité et d’effet indiscutable ».
Au détour d’un couloir, un salon de coiffure reçoit des volontaires (payés) pour tester un nouveau produit : il shampooine la moitié gauche avec le test, la droite avec un produit autre, sans dire lequel au volontaire, et recueille les commentaires.
Dans la salle suivante, un autre « testeur » se shampooine sous la douche, sous l’œil d’une caméra. « C’est nécessaire, explique le responsable, car les gens se connaissent mal. Ils croient ne se passer que 2 fois du shampoing, mais sous la camera, ils s’en passent 5 ! Dans ce cas, nous devons réviser la concentration du produit ».
Autre curiosité de ce centre : l’ unité de reconstruction de peau (cf photo ci-dessous). Cultivée dans un minuscule habitacle, une unique cellule humaine se reproduit pour former un tissu en 8 jours. Celui-ci est ensuite mis en contact avec un soin en cours de création, permettant ainsi d’étudier et prévenir les effets secondaires.
Cette technique, inventée il y a 30 ans par L’Oréal, le groupe ne la pratique ailleurs, qu’en ses centres à Paris et Lyon. Et c’est en partie grâce à elle qu’en juin, le ministère chinois de la Santé a entamé la mise au rancart de l’expérimentation animale, impopulaire et moins performante. « Cette technique, précise cet expert, nous permet le test en trois dimensions, en inoculant le produit aussi dans le tissu, alors que la méthode ‘sur souris’ ne permet que le test en surface ».
Cet assouplissement de la loi était attendu de longue date par les concurrents locaux : il leur permettra d’exporter à leur tour, vers l’Union Européenne par exemple où le test ‘animal’ est banni. Et c’est ainsi que sans y avoir pensé, L’Oréal aide technologiquement sa concurrence !
Entre Shanghai et les 5 autres centres R&I du groupe dans le monde, une relation complexe s’est établie, pour échanger leurs découvertes(624 brevets déposés en 2013) et adapter les produits aux usages, qui changent énormément de continent à continent. La consommatrice chinoise, par exemple, se lave les cheveux trois fois par semaine, mais la Brésilienne deux fois par jour, ce qui impose des formulations différentes. De même, la crème BB, hybride soin hydratant du visage et base de teint, inventée au centre R&I de Corée du Sud, a été reformulée à Shanghai en diverses variantes, pour satisfaire (à travers ce pays aux écarts climatiques dramatiques) les attentes de dizaines de millions de demoiselles chinoises, toutes à l’âge du 1er maquillage.
Le groupe rachète aussi les bonnes idées : d’une start-up californienne, il a repris celle d’une brosse dermique à ultrasons qui assure un nettoyage du visage (selon Browne) 30% plus efficace que le meilleur savon, à savoir « Clarisonic », qui est entretemps devenu un des produits phare du groupe.
Avec un budget recherche de 3,7% de ses 23 milliards d’€ de ventes globales, L’Oréal, entré en Chine en 1995, reste encore derrière son grand rival, Procter&Gamble, arrivé 10 ans plus tôt. P&G détient 19% des ventes nationales et L’Oréal 15%. « Mais avec un rythme de sortie de nouveaux produits plus élevé et un plus grand engouement du public, prédit Lan Zhenzhen, vice-Présidente Communication, le rattrapage sera une question d’années, grâce à nos 2000 employés directs et notre armée de 8000 vendeurs sous contrats en grandes surfaces ».
Sous son ombrelle, une vingtaine de marques sont présentes sur le marché chinois : grand public (L’Oréal Paris, Maybelline), de luxe (Lancôme, YSL), professionnels (Kérastase) ou de cosmétique active, telles Vichy ou La Roche-Posay, aux grandes ambitions en Chine. Enfin, pour le groupe, une des surprises des dernières années est le marché masculin, qui décolle à son tour : voyant ses compagnes s’attifer et parer, rivaliser de charme et coquetterie, le sexe fort découvre, à son tour, le plaisir de se mettre à soigner son apparence !
Sommaire N° 27 - Spécial Entreprises