Après deux ans de froid, les liens sino-britanniques se réchauffent, avec la visite à Londres de Li Keqiang les 17-20 juin. Honneur rare, le 1er ministre a été reçu par la Reine Elisabeth II. En échange, il a bien aidé Londres à la veille d’un référendum crucial en Ecosse sur son indépendance, en déclarant : « la Chine préfère un Royaume-Uni, uni ».
La réconciliation a lieu parce que la Chine, à terme, ne peut se passer du marché du RU, de ses technologies, de sa place financière londonienne. D’autre part, sur un plan géostratégique elle ne peut maintenir trop de fronts tendus : en conflit sur la mer de Chine avec la moitié de l’Asie (Japon, Vietnam, Philippines), elle juge le moment opportun pour repasser au beau fixe avec l’Europe. Ceci, jusqu’au prochain litige commercial…
Comme gage d’amitié, et suivant l’exemple de la France, David Cameron, le 1er ministre britannique, a créé un visa rapide pour Chinois et Indiens, avec possibilité de dépôt en ligne. Les deux pays ont échangé deux nouveaux consulats : Belfast pour la Chine, Wuhan pour le RU. Le nombre d’étudiants va exploser : 10.000 bourses chinoises au Royaume-Uni sous 5 ans, 80.000 jeunes anglais en Chine d’ici 2020.
Une moisson de contrats…
Au chapitre « contrats », le bilan est flatteur mais pour certains accords, il y a encore manifestement loin de la coupe aux lèvres.
Pour 20 milliards de $, BP livrera d’ici 2034 à la Cnooc 1,5 million de tonnes de gaz GNL par an. Conclu peu après l’accord « russe » entre CNPC et Rosneft (30 ans, 400 milliards de $), ce « deal » suggère que la Chine veut discrètement diluer sa dépendance au gaz russe.
Les autres contrats, ensemble, « pèsent » 23 milliards de $. La banque privée Mingsheng met 1,5 milliard de $ dans son QG euro-londonien. China Construction Bank, 2nde banque chinoise, déjà implantée dans la capitale, y reçoit la 1ère licence de clearing en yuan—elle pourra financer directement des affaires traitées en RMB. La China Development Bank s’associe à Lloyds pour sécuriser les chantiers de futurs réseaux de TGV et de centrales nucléaires.
Ces deux marchés sont au cœur des débats. Un mémorandum a été signé, pour permettre à la Chine de construire et d’opérer au Royaume-Uni des équipements dans les secteurs de l’énergie et des transports. En échange, Pékin pourrait laisser des groupes britanniques participer au chantier du tunnel Dalian-Yantai, « monstre du Loch Ness » de 123 km sous la mer de Bohai, pour 42 milliards de $.
Mais méfiance…
– Ayant déjà foré des milliers de
tunnels sur son sol, la Chine pourrait n’avoir plus besoin d’assistance.– A Londres, la méfiance règne. 10 ans en arrière, la Chine avait offert à Shell et Exxon un partage du chantier du gazoduc Ouest-Est de 4500 km de long. Les étrangers avaient donc réalisé les études dont la Chine n’avait pas l’expertise. Puis Pékin avait adjugé l’affaire à 100% à la compagnie nationale CNPC.
– En nucléaire, malgré un 1er projet à Hinckley Point signé avec EDF Energy comme garantie de qualité, le Royaume-Uni s’inquiète de la sécurité d’une technologie chinoise encore jamais construite – s’agissant de centrales « de 3ème génération ».
– De même, en TGV, le RU, comme le monde entier, garde en mémoire les accidents parfois graves ayant émaillé le déploiement du réseau chinois. « Ce que les Britanniques attendent de nous, soupire Wang Mengshu, vice-ingénieur en chef à China Railway Tunnel, est notre financement, rien d’autre »…
Une attitude décomplexée
En conclusion de cette visite, ce qu’il faut retenir, est l’attitude décomplexée, voire un peu revancharde de la Chine face au Royaume-Uni.
Avant l’arrivée de Li, la presse rectifiait son palmarès des puissances en Europe, entre RU, Allemagne et France : de la 1ère place en 2000, elle rétrogradait Londres à la 3ème cette année. Puis à peine Li envolé pour sa 2ème étape en Grèce, les médias chinois faisaient ces commentaires désinvoltes : « la Grande-Bretagne, vieil empire sur le déclin », « l’Angleterre, on ne fait pas plus chauvin », et « la Chine a éclipsé le Royaume-Uni comme superpuissance ». Or, il ne faut pas s’illusionner : en termes de vision d’une Europe en perte de vitesse, ce qui vaut pour Londres, vaut aussi pour Paris ou Berlin…
Sommaire N° 25