Education : Le Gaokao sur la sellette

Pour 9,39 millions de lycéens (+3% par rapport à 2013, principalement originaires de régions rurales), les 7 et 8 juin 2014 seront les jours « noirs » du Gaokao (高考), concours de fin d’études secondaires. A l’examen, trois matières sont obligatoires : mathématiques, chinois et une langue étrangère au choix (principalement l’anglais), puis les élèves peuvent choisir entre des épreuves scientifiques (chimie, biologie, physique) ou littéraires (histoire, géographie, histoire de la politique). Les lycéens doivent répondre à des dizaines de questions, la plupart en QCM, et rédiger un essai en chinois.

C’est donc le royaume de la mémoire et du bachotage. Ceux obtenant les meilleurs scores choisissent leur université, parmi le millier que compte le pays. Pour des millions de jeunes, ce système peut être un puissant ascenseur social. Aussi, dès la naissance de leur enfant unique, les familles ont tout misé sur lui : cours particuliers et vacances studieuses durant toute la scolarité. 

Puis quand vient le Gaokao, ils financent des séances anti-stress : inhalation d’oxygène, voire hypnose. Durant l’épreuve, les parents gardent la rue pour imposer le silence, ou vont prier dans les temples bouddhistes, ou les églises.

 Car la tension est insupportable, vu les espoirs immenses, des jeunes et des parents, en cette chance unique. Pour un mot rude d’un professeur, ou une matière ratée, 79 jeunes se sont donné la mort en 2013. L’enjeu encourage la triche : on invente des récepteurs grands comme un grain de riz, que l’on s’enfonce dans l’oreille (la réponse vient par vibration), ou on sertit un écran grand comme un ongle au fond d’un thermos. Toute pièce métallique est donc interdite en salle d’examen, et les immeubles, à proximité, sont fouillés (c’est de là que les adultes tricheurs émettent les bonnes réponses). 

Systeme Anti Triche GaokaoPour lutter contre les différences de revenus entre les provinces mais aussi favoriser les minorités, le score minimal pour obtenir le Gaokao varie : dans celles les plus reculées comme le Tibet ou le Xinjiang, le score minimum est plus bas qu’ailleurs, ce qui assure un taux d’obtention plus élevé. Cela ne leur ouvre pourtant pas les portes des meilleures universités, car elles pratiquent un quota de places selon la province d’origine, favorisant les étudiants locaux. Par exemple, il est plus difficile pour un étudiant d’une province qui présente beaucoup de candidats (comme le Henan), d’intégrer une excellente université shanghaienne.

Toutefois, l’Etat tente de mitiger des injustices : pour la première fois, 30 à 50.000 malvoyants pourront se présenter cette année, répondant en braille ou sur PC. Mais comme la mesure n’a été communiquée qu’en mars dernier, ils n’ont eu que quelques semaines pour réviser – leurs chances de succès sont donc diaphanes. De même 56.000 migrants pourront concourir dans leur ville de résidence (Pékin exceptée) sans devoir rentrer dans leur province d’origine, ce qui leur garantit plus d’équité. 

L’Université du Zhejiang (une des plus progressistes) teste un nouveau mode d’admission : le Gaokao comptant pour 60%,le contrôle continu au lycée pour 10%, et un entretien d’admission pour 30%. Toutefois, la portée du test est faible : seuls 100 jeunes seront ainsi sélectionnés, sur les 2300 de la promotion 2014…

Bonne nouvelle : les jeunes filles poursuivant des études supérieures sont toujours plus nombreuses chaque année (même dans des filières techniques, habituellement « masculines »). 

La promotion 2014 apporte deux petites pierres à la déconstruction du Gaokao, héritier de l’antique concours mandarinal, basé sur l’autoritarisme et le par cœur : 

– 13 provinces offrent aux jeunes jusqu’à 20 points optionnels pour « bonne conduite ». Hélas, le chercheur Chu Zhaohui constate que ces bonus reviennent invariablement aux fils de familles pistonnées, élargissant ainsi l’écart de chance entre la haute et le peuple. D’où la polémique revendiquant d’abandonner ces points discrétionnaires. 

– L’Etat envisage très sérieusement d’abandonner d’ici 2017, l’anglais du Gaokao, qui en est pourtant, avec les maths et le chinois, une des matières principales. Sur le diagnostic, nul ne disconvient : malgré des notes plutôt bonnes obtenues au concours, guère plus de 5% des candidats parviennent à produire une phrase acceptable en anglais. La raison tient à ces 50.000 écoles privées qui, pour un marché de 5 milliards de $ par an, forment des millions de candidats, non à l’anglais réel, mais à celui du Gaokao. C’est pourquoi le ministère, sous prétexte d’alléger les programmes, veut éliminer la matière. 

Les défenseurs de l’anglais montent alors au créneau, avec une question à vrai dire dérangeante pour l’Etat : qui est responsable de cette situation ? La réponse tient à la pédagogie officielle, sclérosante et détestée. D’autres font remarquer que l’Etat veut « tuer » l’anglais, dans un effort idéologique de « renationalisation » de la culture. En tous cas, la plupart des parents défendent l’anglais, promesse de prospérité et d’ouverture au monde… Et comment la Chine va-t-elle poursuivre son effort d’internationalisation de son économie, sans l’anglais ? 

De la sorte, un débat furieux est en cours, dont l’issue n’est nullement assurée. En fin de compte, l’Etat pourrait bien devoir remiser aux calendes grecques, cette mort annoncée de la langue de Shakespeare sur son sol.

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
15 de Votes
Ecrire un commentaire