Société : Urbanisation : la Chine entre rêve et portefeuille

Le 16 mars est une date à retenir : avec 18 mois de retard, le Conseil d’Etat publie son Plan national d’urbanisation d’un nouveau type (2014-2020) qui signe – peut-être – la naissance de l’ urbanisme chinois, annonçant de nouveaux plans urbains conçus pour équilibrer monde du travail et lieux de vie, pour une vie meilleure. 

On voit un changement de paradigme. Jusqu’à ce jour, la Chine s’enrichit par le travail peu cher des migrants qui viennent s’installer en ville, presque sans structures d’accueil. Etat et groupes industriels n’investissent que dans le productif et l’export, au détriment du bien-être social. Ainsi, en entassant jusqu’à 500.000 ouvriers non-qualifiés par campus, dans des conditions ingrates, Foxconn, sous-traitant d’Apple, est le dernier -anachronique- avatar de ce modèle économique. Or désormais, les règles du jeu ont changé. 

La ville de demain

La ville de demain doit permettre à cette couche vulnérable de contribuer à une autre forme de croissance : en consommant, en devenant propriétaire et en produisant plus de valeur ajoutée. Ce qui suppose pour ces migrants de nouveaux droits – logement, santé, éducation. Mais partant de si bas et pour autant de gens, ce bond en qualité de vie ne peut être offert à tous en même temps. Aussi d’ici 2020, le plan vise à rendre citadins 60% des Chinois, 7% de plus qu’en 2013, 85 millions de paysans. Pour ceux-ci, les conditions d’accueil ne changeront guère. L’effort pour améliorer les droits des migrants (la reconnaissance par la ville de leur citoyenneté) vise 100 millions de migrants de longue date. 

Dacan Village Shanxi2En outre, ces 85 millions de candidats citadins ne pourront pas aller partout : dans toutes les villes de plus de 5 millions d’âmes, ils seront repoussés par une « gestion ferme », orientés vers des villes moyennes, près de mégalopoles comme Chongqing ou Chengdu – dans des régions centrales, riches en énergie (hydro, houille, solaire), en matières 1ères et demandeuses de travail à bas prix. C’est là aussi que se redéployeront les industries à fort besoin en main d’œuvre : énergies renouvelables, informatique de « nuage » (cloud computing), textiles…

Pour réussir ce transfert, d’ importantes infrastructures sont en cours de réalisation, chemins de fer et voies rapides pour les « villages » de 200.000 habitants, autoroutes et TGV à ceux de 500.000. De même, un plan de logements sociaux se poursuit (quoique moins ambitieux qu’à ses débuts en 2012). Cette année, 4,75 millions d’unités rénovées ou reconstruites, pour 163 milliards de $. 

Un chiffre fait froncer les sourcils : tandis que les citadins deviendront 60% en 2020, les résidents légaux ne seront que 45%. Les 15% de différence, 200 millions, seront privés d’école, d’hôpitaux et de logements subventionnés. Mais c’est tout ce que le système peut supporter dans ce délai, sous l’angle financier. Et cela explique en grande partie le retard du plan, tout comme le recul visible des attributions de Li Keqiang, le 1er ministre. 

NB : Xi Jinping a arbitré entre Li et ses adversaires lobbyistes et conservateurs. Xi a rogné les ambitions du programme, mis son poids dans la balance, et protège le programme d’urbanisation en le plaçant sous son autorité directe. 

D’autres rattrapages suivent avec une intensité visible, pour préparer la ville à la vague de peuplement qui se dessine. 

En mars 2014, seules 3 villes sur 74 étaient aux normes de pollution : Pékin veut en 7 ans porter le taux à 60%, soit 44 villes. Face à l’obstacle majeur à l’urbanisation, à savoir les prix du logement, Li Keqiang affirme pouvoir enrayer la hausse, en pénalisant la construction spéculative, et en créant d’ici 2020 un réseau de cadastres municipaux ainsi qu’un fichier national. Ce dernier permettra notamment d’introduire la taxe foncière sur les résidences secondaires. 

Rappelons toutefois deux conditions sine qua non à la réussite de ce plan : 

– la réforme de la taxation (pour donner aux provinces les moyens de financer l’égalisation des droits sociaux entre migrants et citadins), 

– et celle du droit à la propriété foncière pour permettre aux paysans, soit d’investir sur place pour passer à une agriculture plus rémunératrice, soit de vendre pour partir à la ville du bon pied, sans être spolié de son patrimoine par le cadre corrompu. Or, sur ces deux réformes, on est encore loin du but, car elles lèsent les intérêts de la classe au pouvoir.

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