A peine connue, la nouvelle (09/03) fait l’effet d’une bombe : «
ce deal va changer la face de l’internet en Chine », disent les internautes…Pourtant, à l’échelle chinoise, le montant de la transaction est « modeste » : pour 215 millions de $, Tencent, créateur de WeChat, reprend 15% du site de ventes en ligne de JD.com, dit Jingdong.WeChat, c’est l’application mobile qui permet de tout faire gratuitement et instantanément : envoi de texte, son, photos, appels vidéo, rencontrer de nouveaux amis, appel et paiement d’un taxi (avec 10¥ de réduction, service DidiDache), choix et réservation à prix réduit d’un restaurant (via Dianping dont Tencent a racheté 20% en février) … En deux ans, WeChat a attiré 600 millions d’usagers dont 300 quotidiens.
JD, lui, est le n°2 du commerce en ligne (B2C) avec 100 millions d’utilisateurs et 22% du marché, le n°1 étant Alibaba (Taobao, Tmall…) avec 50%.
Le rapprochement Tencent/JD permet aussi à JD de récupérer toutes les filiales commerciales du partenaire, Tencent Digital, Tencent E-Commerce, Yixun Logistics et Tencent Guangzhou, qui peinent depuis leur création à trouver le succès. La véritable synergie est ici : Tencent va introduire JD dans WeChat, par des services qui restent à inventer, comme permettre aux utilisateurs de WeChat d’échanger leurs points de fidélité JD, ou encore de discuter en ligne des produits achetés.
Alibaba et Tencent comptent parmi les 5 groupes pressentis pour obtenir en 2014 une licence de banque privée. Le choix de l’Etat apparaît transparent : dans le cadre de son ouverture à des intérêts privés, il autorise une banque privée dans l’internet fixe, une autre dans l’internet mobile.
D’après Mike Bastin, professeur de marketing à l’UIBE (Pékin), le choc des titans est avant tout un combat d’image. Celle d’Alibaba est faite de « compétence » et «digne de confiance». WeChat par contre, en deux ans d’existence, s’est imposé sur le registre de valeurs « sympa », « ludique », de connotations de « copain » voire, c’est assez rare, dans la « romance », conquête du partenaire parmi un public d’ados et de jeunes adultes. Ceci dénote un passage de génération : nouvelle clientèle d’une jeunesse tournée vers l’émotionnel, prenant la relève d’aînés plus rationnels.
WeChat a investi dans des rendez-vous sociaux comme la St Valentin et le Nouvel an chinois. Alors, la jeunesse urbaine s’est prise au jeu d’envoyer des étrennes à leurs proches, réparties entre eux de façon aléatoire (cf Vent de la Chine n°6). Cela permit à Tencent de susciter un engouement unique, tout en engrangeant, en tout bien tout honneur, données bancaires et carnets d’adresses. Jack Ma, PDG d’Alibaba, ne s’y trompa pas en parlant cette nuit-là d’une « attaque éclair ».
Mais la riposte de Alibaba au rachat de parts de JD par Tencent ne tarda pas (12/03), avec son entrée dans ChinaVision, pour 804 millions de $, afin de s’assurer une ressource de contenu télévisuel et renforcer sa propre capacité en smartphone ludique.
Tencent dispose d’un coup d’avance sur Alibaba, en technologie et en support social. Il a aussi un atout de plus en se déployant avant le rival à l’international. Pony Ma, PDG de Tencent, n’hésite pas à affirmer que son WeChat serait « LE produit chinois le plus exporté », comptant plus de 100 millions d’usagers hors frontières, alors que Alibaba reste national.
Mais Tencent prend des risques. Une part de son audacieuse démarche consiste à faire cohabiter sous le logo WeChat, des outils dont la compatibilité est loin d’être évidente, mélangeant chez l’usager les affaires du cœur et celle du porte-monnaie, les choix de communication, de commerce et de banque. On est là en « terra incognita » et Tencent devra avancer avec prudence et doigté !
Sommaire N° 11