On croyait le 1er ministre Li Keqiang malheureux du faible rôle que lui laissait le Président Xi Jinping, ayant dû jeter par-dessus bord des pans entiers de son grand plan de transformation sociale. Mais à sa conférence de fin de session du Parlement (ANP), c’est un Li tout sourire qui se présenta aux 1000 journalistes chinois et étrangers.
Il avait à cela une raison : avec 15 « non » et 5 « nuls » sur 2900 voix, son rapport d’exercice 2013-2014 venait d’obtenir le meilleur score en dix ans. Plus profondément, cette session lui permettait de sauver l’essentiel de son programme : comme si, frappant indistinctement démocrates et corrompus, Xi avait rassuré par sa poigne de fer le corps des décideurs, et l’avait convaincu de prendre des risques. Ils acceptaient donc d’accélérer le rythme d’une réforme de structures financières et administratives favorisant la classe au pouvoir et les consortia, au détriment de la classe moyenne et des PME. Aussi il réalisait quand même des progrès sociaux, mais par la bande, comme au billard, sans prononcer le mot qui fâche, celui de démocratie.
On a déjà évoqué (cf article « Wechat contre Alibaba » ) l’émergence d’impressionnants nouveaux services de placement bancaire privé, sur smartphone. C’est permis, et même encouragé par le Conseil d’Etat, qui veut par ce biais, forcer un rapprochement entre le crédit et le marché – relâcher les liens quasi clientelaires entre les grosses banques et les consortia d’Etat, pour acheminer plus de fonds vers les PME.
Proche de l’objectif de 2013, Li Keqiang vise un PIB de 7,5% « ou approchant ». En cas de chute trop raide de la croissance, la Banque Centrale aura toujours le levier des réserves bancaires pour raviver la flamme : « hache aiguisée tranche bien le petit bois » glose Li. Notons au passage que pour l’économiste Marc Faber à Hong Kong, le taux de croissance réel actuel est plus proche de 4%, « et c’est suffisant ». ajoute t-il.
Surtout, clé de voûte de 10 ans de politique financière, Lou Jiwei, ministre des Finances (cf photo) promet la liberté des taux d’intérêts pour 2016—et non 2024, comme des analystes l’attendaient ! 2014 devrait aussi voir l’arrivée d’exonérations fiscales pour foyers vulnérables (le plafond imposable reste à 3500¥ par mois), et les 18 taxes actuelles seront refondues et converties en lois – seules trois le sont aujourd’hui, les 15 autres ayant forme de règlements. Une nouvelle taxe pourrait apparaître, si le Parlement insiste dans son projet de rendre les dons aux oeuvres caritatives, obligatoires ! Une approche généreuse, mais maladroite : par définition, la charité part du cœur, et si on l’impose, elle incitera à la triche.
Le secteur des services sera ouvert aux étrangers, rappelle Li, et dérégulé, notamment dans les Zones Economiques Spéciales en cours d’adoption (à commencer par Shanghai). A moyen terme, la vraie révolution proviendra des traités de protection des investissements, en cours de négociation avec l’Union Européenne et avec les Etats-Unis (échanges de 2013, avec ces derniers : 520 milliards de $).
Ce dernier train de réformes, le plus discret, est peut-être celui susceptible d’avoir le plus d’impact : la réforme judiciaire. Zhou Qiang, le juge suprême, jure d’imposer sous 3 ans la publication de tous les verdicts des tribunaux chinois. D’autre part, en interne, le Parti a émondé les pouvoirs du Comité légal et politique, secrètement présent dans chaque tribunal. Il ne pourra plus « coordonner les verdicts » du juge, y compris (en pratique) en donnant raison au plus offrant, entre défenseur et plaignant. Le Parti se réserverait le droit de verdict sur les affaires graves, de type ethnique ou touchant aux hauts personnages. De la sorte, une cause de colère de la rue disparaîtrait : « Xi Jinping, veut bien tolérer une réforme du système judiciaire, tant que celle-ci ne menace pas le monopole de pouvoir du Parti » résume ce témoin.
Sommaire N° 11