Politique : Coup de chaud pour la presse anglophone en Chine

De tous temps en République Populaire de Chine, entre journalistes étrangers et leurs interlocuteurs au ministère des Affaires Etrangères, les rapports ont été complexes tissés de sentiments contradictoires, méfiance et respect. Aujourd’hui au département de tutelle des correspondants, les cadres sont jeunes, éduqués et courtois, anxieux de coopérer chaque fois que possible. 

Or, c’est tâche difficile, par les temps qui courent : 24 journalistes du New-York Times et de Bloomberg attendent leur ré-accréditation, parfois depuis plus d’un an, pour Ph. Pan, chef de bureau du NYT, et de Ch. Buckley, grand reporter. 

De même, en 24 mois, quatre collègues anglophones ont dû quitter le pays, faute de voir leur visa renouvelé. Tous ces professionnels étaient très engagés dans les droits de l’Homme, comme P. Mooney, le dernier éconduit et Melissa Chan, reporter à Al Jazeera. Elle était chinoise ethnique : difficile à repérer sur le terrain, et de plus très regardée au Proche Orient. Or, elle contredisait trop souvent par ses reportages critiques l’image positive que la Chine souhaite cultiver dans la région. 

Dans le cas des 24 journalistes de Bloomberg et NYT, Pékin bloque les visas, suite à leur révélation en 2012 de la fortune des familles de l’ex-1er ministre Wen Jiabao (2,7 milliards de $, selon NYT) et de Xi Jinping (376 millions de $, selon Bloomberg). 

En novembre, Bloomberg avait gelé la publication de deux longues enquêtes sur les liens entre un milliardaire local et des familles de dirigeants, et sur le recrutement de fils de la nomenklatura par des grandes banques étrangères. Faute d’avouer la vraie raison à ce gel, Bloomberg avait été accusée de compromission – un des auteurs avait démissionné. Cela créa une tension extrême avec l’Etat chinois.

L’oligarchie dirigeante se défend, faisant jouer la discipline collective, et sa situation est tout sauf confortable. La Chine ne peut empêcher une presse étrangère courageuse et sans complexe, soutenue par sa classe politique, d’enquêter sur des agissements qui faussent le marché. Faute de réagir, son image déjà fragilisée par l’affaire Bo Xilai, serait dynamitée auprès de son opinion—qui de plus en plus, lit l’anglais, accède aux sites bannis via VPN, et les rediffuse via Weibo. 

Mais si la Chine expulse un ou plusieurs de ces journalistes, les rapports avec les Etats-Unis souffriront, surtout côté Congrès, à un moment où, du fait de son bras de fer maritime avec plusieurs pays, elle a besoin de tous ses alliés…

Aussi, la plupart des observateurs espèrent et croient à un dénouement paisible. Le temps commence à manquer, cependant : si le refus de visa se prolonge, le premier des 24 journalistes devra plier bagages le 17 décembre… 

En tout état de cause, ce lièvre soulevé par la presse anglo-saxonne ne s’arrêtera pas là : dans le cadre de la loi fédérale des pratiques commerciales délictueuses, le procureur général de New York et la SEC (haute autorité de contrôle des affaires financières-judiciaires) enquêtent sur les recrutements passés de gaoganzidi (高干子弟, fils de la haute société chinoise) par J.P. Morgan, Citigroup, Morgan Stanley, Goldman Sachs, Crédit Suisse et d’autres. Ces recrutement sont légaux en soi, sauf s’il peut être prouvé qu’ils ont directement inspiré l’octroi de marchés à ces banques, au détriment d’autres. 

Enfin pour Pékin, l’avenir pourrait résider dans… la campagne anti-corruption, seule à même de nettoyer cette situation dont la révélation est le métier de la presse étrangère. Sur le fond, celle-ci ne peut être coupable d’avoir fait son travail –pour le bien-être et la stabilité générale, à long terme.

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  1. Jean

    Voilà qui est bien exprimé. La nécesité de la présence des correspondants étrangers en Chine – comme d’ailleurs dans tous les pays – est une évidence reconnue par tous les régimes progressistes depuis longtemps.

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